Guernesey, samedi 19 mars [18]70, à 7 h. ½ du m[atin]
Cher bien-aimé, je demande à Dieu que le bonjour que mon âme t’envoie tous les matins soit la bénédiction de chacune de tes journées. Je voudrais t’enfermer dans le cercle de mon amour pour te préserver de tout malheur et de tout chagrin. La terrible catastrophe qui vient de se passer si près de nous a surexcité en moi douloureusement la tendre sollicitude qui te garde jour et nuit [1]. La seule pensée d’un danger pour toi ou pour les tiens me rend malheureuse jusqu’à la souffrance. Ô mon cher bien-aimé, tenons-nous encore plus près l’un de l’autre si c’est possible afin que rien ne nous sépare dans cette vie ni dans l’autre. Vivons et mourons ensemble et faisons de notre amour notre planche de salut de la terre au ciel. Je crains que tu n’aies pas mieux dormi que moi ce qui se comprend de reste après la lugubre nouvelle d’hier. Jusqu’à ce moment ma pensée en est obsédée au point de ne pouvoir pas penser à autre chose. Mon amour, ma prière en sont empreints et je ne peux pas parler d’autre chose ni à toi ni à Dieu. Je t’aime et je le crie.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 79
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette