Guernesey, 8 avril [18]70, vendredi matin, 6 h. ½
Je ne veux pas préjuger ta nuit d’après la mienne, mon pauvre cher bien-aimé, j’en aurais trop mauvaise opinion. J’aime mieux croire, au contraire, que tu as réussi à bien dormir et même que tu dors encore ; ce qui ne serait que juste pour la journée fatigantea et pénible que tu vas avoir aujourd’hui. Pendant ce temps-làb, l’âme consolée et radieuse du pauvre Kesler planera sur toi et te bénira pour la couronne de gloire que tu lui donnes aujourd’hui. Tu viens de faire de son nom d’aventure, Kesler, un nom historique dont les six lettres sembleront autant d’étoiles dans la mémoire humaine. Ton génie immortalise tout ce qu’il touche : carcan de feu au cou du criminel, nimbe lumineux au front du martyr. Tu es vraiment le grand justicier sublime, terrible et béni. Je te remercie, faute de mots meilleursc, de m’avoir lu hier cette prodigieuse oraison funèbre [1]. J’espère, malgré ta poignante émotion, triplée par celle de Mme Chenay et par la mienne, que tu n’en n’auras pas trop souffert ? Je baise tes yeux adorés.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 99
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette
a) « fatiguante ».
b) « temps là ».
c) « meilleur ».