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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 novembre [1836], 8 h. ½, dimanche soir

Mon cher petit homme bien aimé, nous avons été refusées à la porte. Il n’y avait plus de places du tout, et comme cette pauvre Mme Pierceau ne pouvait pas faire coup sans coup la même course, je l’ai embarquée dans un omnibus avec son petit garçon et je suis revenue chez moi avec mon garde du corps.
Maintenant je suis seule, je n’ai plus rien à lire, et pas un seul cabinet de lecture ouvert. C’est vexant pour une femme éminemment littéraire et difficile à endormir. Vous seriez bien charmant si vous veniez ce soir très tôt, et si vous pouviez me faire marcher un pas au clair de lune, il fait un temps des plus ravissants et j’ai bien envie de vous tenir sous mon bras. Vous m’expliqueriez la petite ourse et la grande ourse que je ne comprends pas aussi bien que l’amour dans vos yeux et le bonheur dans mon cœur. Cependant je ne laisse pas que d’être une astronome distinguée dans ce que je sais.
Je t’aime mon petit Toto, je vous aime mon Victor bien aimé, je voudrais bien savoir où vous êtes et ce que vous faites. Les femmes ont souvent des curiosités d’apprendre ce qu’elles ne voudraient pas savoir [1], mais aussi c’est que je t’aime.

J.

BnF, Mss, NAF 16328, f. 154-155
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette


20 novembre [1836], dimanche soir, 8 h. ½

Mon cher petit homme adoré, voici que nous rentrons dans le petit format, non parce que j’aie moins de choses à vous dire, bien au contraire, mais comme il faut avoir quelque chose en avance dans les cas difficiles et périlleux, je réserve mes grandes feuilles de papier pour ceux-ci, c’est comme qui dirait : une PIERRE POUR LA SOIF [2]. D’ailleurs, si j’avais continué ce système d’écriture, je n’aurais jamais pu trouver le moyen de doubler la dose dans un cas donné ! Ce que je fais est donc très bien, et je vous prie d’approuver l’écriture ci-dessus, ci-dessous, ci-devant, ci-derrière. OH ! HONNI SOIT QUI MAL Y PENSE [3]. D’ailleurs vous n’êtes pas encore de l’Accadémie ni moins moi non plus.
Je vous aime, voilà le plus drôle, le plus clair et le plus spirituel de mon affaire. J’entends la porte d’entrée aller et venir, je voudrais bien que vous y soyez pour quelque chose, mais non, vous ne songez même plus à moi. Et en voilà au moins pour un mois hein.
Y a pas beaucoup de DESSERT ! Les tartines d’amour vous me les faites manger un peu sèches. Cependant je vous aime et je ne fourre pas mes doigts dans mon nez.
Je fais tout ce que je peux pour être aiméea, sans y parvenir souvent.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 156-157
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « aimé ».

Notes

[1Réappropriation d’une phrase de Molière dans Amphitryon  : « La faiblesse humaine est d’avoir / Des curiosités d’apprendre / Ce qu’on ne voudrait pas savoir » (Acte II, scène 3).

[2Jeu de mots avec l’expression « garder un poire pour la soif ».

[3Devise de l’ordre de la Jarretière en Angleterre.

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