Guernesey, 8 septembre 1860, samedi matin, 6 h. ¾
Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? Comment as-tu passé la nuit ? Si tu as une bonne réponse pour chacune de ces deux questions, je suis contente et je ne demande rien de plus pour ce matin et toujours, si ce n’est que tu m’aimes comme je t’aime, c’est-à-dire inébranlablement. Tu as bien fait de fermer ta fenêtre tout à l’heure, mon cher petit homme, car le brouillard est bien épais ; mais j’espère que, loin d’annoncer le mauvais temps, il est le précurseur d’une belle et chaude journée aujourd’hui. Je le désire pour le pic-nic [1] projetéa dont je profiterai un peu pour ma part en t’accompagnant jusqu’au Moulin-Huet [2]. En attendant, je crois qu’il serait sage de renoncer à mon fameux portrait pour lequel les difficultés surgissent à plaisir et dont tu n’as nul besoin, ni moi non plus. Quant à moi je compte mettre M. Leballeur tellement à son aise ce matin à ce sujet que j’espère qu’il y renoncera de lui-même avec joie. Ce à quoi je renoncerai avec tristesse c’est au vôtre, mon cher petit homme. Et je dois même avouer en toute sincérité que j’ai éprouvé un quasi chagrin en le trouvant hier PAR HASARD chez Mme Henry [3] quand je n’en soupçonnais même pas l’existence. Mon Victor, mon Victor, j’ai bien de la peine à croire que tu m’aimes comme je t’aime quand je compare ta manière d’aimer à la mienne. Après cela je suis peut-être indiscrète car j’ai tort de te demander plus que tu ne peux me donner.
BnF, Mss, NAF 16381, f. 236
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette
a) « projetté ».