28 octobre 1872

Guernesey, 28 oct[obre] [18]72, lundi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher grand bien-aimé, bonjour et merci d’être venu au rendez-vous de la serviette [1] tout à l’heure malgré le mauvais temps et au risque de t’enrhumatiser. Loin de m’en montrer égoïstement heureuse comme je le fais en ce moment je devrais au contraire te supplier de t’abstenir de paraître sur ton toit de tout l’hiver. Sérieusement, mon adoré, il ne faut plus arborer le signal d’ici au printemps, je te le demande pour m’épargner plus tard un remord s’il t’arrivait du mal. J’ai été si heureuse hier de ta jolie petite fleur que cela pouvait me suffire encore ce matin et pour tous les matins qui me reste à vivre. Sans compter la promesse que tu m’as faite de ne pas oublier de m’apporter un peu de ta précieuse toison tombée sous les ciseaux du Jason Blicque [2]. Tout cela sont autant de choses pour mon bonheur qui te dispensent de commettre des imprudences pour m’en donner d’autres qui, au lieu de calmer l’appétit de mon cœur, ne ferait que l’augmenter. J’ai oublié de te dire que j’avais deux poules très malades. Je crains que le temps n’y soit pour beaucoup car leur poulailler s’est changé en aquarium depuis ces pluies diluviennes. C’est un véritable désastre, non seulement pour ces malheureuses cocottes, mais pour moi aussi qui ai dépensé beaucoup d’argent à les acheter. Suzanne se multiplie à les soigner mais je crains bien que cela n’avance à rien. Pourvu encore que cela se borne à la perte des deux malades. Mais je n’ai guère d’espoir. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 299
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette