Guernesey, 24 oct[obre] [18]72, jeudi matin, 7 h. ¼
Je suis punie par où j’ai péché, mon cher grand bien-aimé, car pendant que je m’étirais paresseusement dans mon lit toi tu arborais ton signal [1]. Malgré vent et marée cela m’apprendra une autre fois à ne pas compter sur le retard de ton patron-minette. En attendant je suis très vexée de m’être laissée devancer par lui ce matin. Autre guitare, quoique ce soit toujours la même chanson, voici qu’il repleut ; ce temps lugubre n’est pas fait pour égayer les idées ni pour réjouir les cœurs déjà assombris par la mort d’amis irremplaçables comme l’était pour toi ce pauvre bon Théophile Gautier [2]. Sa mort, quoique prévue depuis longtemps, n’en sera pas moins douloureuse pour tous ceux qui l’ont aimé et compris et pour toi plus que pour tout le monde. Tu as bien fait d’écrire tout de suite à Catulle Mendès c’est à dire à la pauvre Mme Judith [3] qui doit être en ce moment dans un désespoir affreux ; d’y penser cela serre le cœur. Pauvre petite femme si noble, si touchante et si intéressantea comme femme, comme fille et comme esprit. Tu aurais bien fait de lui offrir de venir passer son plus grand deuil auprès de toi car mieux et plus que personne tu as de divins dictames pour toutes les blessures du cœur et de l’âme. Je te demande pardon de te dire cela, à toi dont la généreuse bonté va au-devant de toutes les infortunes. J’aurais mieux fait de te remercier et de te bénir de confiance tout de suite pour cette pauvre Mme Judith. Mais comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, je te remercie encore et je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 295
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « interressante ».