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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 23 oct[obre] [18]72, mercredi matin, 7 h. 20 m.

Je t’ai déjà donné mon premier bonjour de visu à l’instant même, mon grand bien-aimé, celui-ci le complète sous la forme gribouillis : je t’aime, bonjour, comment la nuit ? Ces trois mots sacramentels quotidiens jaillissent de ma pensée, de mon cœur et de mon âme dès que j’ai les yeux ouverts ; et si j’avais à ma disposition non des vieilles pattes de mouches boiteuses mais deux ailes tu aurais déjà reçu mon bonjour sur tes yeux, sur tes lèvres et dans ton cœur. En attendant ce perfectionnement postal, je m’en tiens à l’ancienne manière de correspondre, cela vaut encore mieux que rien. Cher bien-aimé, je pense à ta nuit et à ce pauvre Pauliat qui t’a peut-être empêché de dormir. Il est probable que ce n’est pas tant la désertion supposée qu’on poursuit que sa participation à la rédaction du Rappel [1] et son dévouement aux ouvriers qu’on veut punir. Si cela est, je crains que tu aies bien de la peine à le tirer de là à en juger par ce pauvre Rochefort qui attend encore la réalisation de la promesse sacrée à toi faite par le citoyen Thiers [2]. Ce n’est pas une raison pour ne pas essayer de venir au secours de ce malheureux Pauliat car si quelqu’un peut influer sur l’esprit de ce même Thiers et faire reculer les bêtes féroces qu’on appelle des juges c’est certainement toi, mon grand, mon vénéré, mon généreux homme. Je regrette que Mme Lanvin n’aita pas pu faire accepter ses services à Mme Charles à l’occasion de son déménagement car c’était la manière la plus naturelle d’entrer dans la maison. Maintenant ce sera plus difficile à moins que tu ne trouvesb un prétexte plausible qui n’inquiète en rien la susceptibilité de ta belle-fille qui permette à cette bonne mère Lanvin d’aller savoir comment vont tes chers petits-enfants. Ce moyen, tu le trouveras certainement et j’en serai bien heureuse. Je baise tes pieds avec dévotion.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 294
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette

a) « n’aie ».
b) « trouve ».

Notes

[1Le Rappel est un quotidien républicain publié pour la première fois en 1869. Les deux fils de Victor Hugo, Charles et François-Victor en sont les principaux fondateurs, ainsi qu’Auguste Vacquerie, Paul Meurice et Henri Rochefort, proches collaborateurs et amis de Victor Hugo. Si le nom de Victor Hugo ne figure pas parmi ceux des collaborateurs, il y publie tout de même de nombreux articles et accompagne sa publication. Pauliat, qui publiait de temps en temps des articles dans ce journal, semble avoir été inquiété en défendant hardiment la cause ouvrière.

[2En 1871, Henri Rochefort fut incarcéré dans la prison de Saint-Pierre à Versailles et condamné à la déportation pour son soutien à la Commune. Victor Hugo avait alors rencontré Thiers qui lui avait fait la promesse de le protéger, et le fit transférer à Saint-Martin-en-Ré en attendant l’amnistie. Hugo note d’ailleurs dans ses carnets à la date du 17 janvier : « Décidément Thiers me tient parole. Cette fois encore Rochefort ne part pas ». Mais la démission de Thiers lui enleva toute protection et en août 1873 il fut déporté à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, dont il réussira pourtant à s’échapper avant de venir s’installer à Genève, au plus près de la frontière française.

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