23 août 1872

24 août 1872

Guernesey, 23 août [18]72, vendredi soir, 5 h.

Cher adoré, j’ai été si patraque ce matin et même toute la journée que ma pauvre petite restitus en est toute désheurée^a. Il est vrai que mon cœur va toujours son train et que rien ne l’empêche de t’adorer à midi comme à minuit. Tant pis quand mes pattes de mouches sont en retard cela ne le regarde pas. Où donc était Petite Jeanne tantôt ? Est-ce qu’elle Bloudait [1] qu’elle n’était ni avec toi ni avec son frère ? Il faudra que je m’en informe à elle-même tout à l’heure quand je la verrai. J’ai reçu une lettre de M^me Lanvin qui me prie de te remercier de ta bonté pour Blanche [2]. Elle me remercie moi-même quoi qu’il n’y ait pas beaucoup de quoi car la jeune fille est vraiment charmante. Elle me donne des nouvelles de Saint-Mandé [3] et de ma maison. Mais tu verras la lettre ce qui est plus simple. En même temps elle écrit à sa fille et elle lui dit que le bruit court au Rappel [4] que tu reviendras à Paris en octobre prochain en attendant je trouve que c’est bien doux de vivre ici avec toi.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 233
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette

a) « desheurée ».

Notes

[1] Il pourrait s’agit d’un néologisme inventé par Juliette (ou Jeanne) pour le verbe « bouder ».

[2] Blanche, fille adoptive de M^me Lanvin, est employée comme domestique pour Juliette en avril 1872 qu’elle suivra ensuite à Guernesey dès le mois d’août. M^me Lanvin remercie ici Victor Hugo d’avoir embauché sa fille et de lui offrir une place dans sa maison. Par la suite, Hugo aura une liaison avec Blanche, dont Juliette se doutera ce qui l’amènera à renvoyer sa domestique en juillet 1873.

[3] Référence au cimetière de Saint-Mandé où se trouve la tombe de sa fille, Claire Pradier. Pendant son absence, elle confie à M^me Lanvin le soin d’entretenir sa tombe.

[4] Le Rappel est un quotidien républicain publié pour la première fois en 1869. Les deux fils de Victor Hugo, Charles et François-Victor en sont les principaux fondateurs, ainsi qu’Auguste Vacquerie, Paul Meurice et Henri Rochefort, proches collaborateurs et amis de Victor Hugo. Si le nom de Victor Hugo ne figure pas parmi ceux des collaborateurs, il y publie tout de même de nombreux articles et accompagne sa publication.