Paris, 30 juillet [18]72, mardi soir, 5 h. ¼
Cher bien-aimé, ma crise dure encore peut être même, hélas ! m’empêchera-t-elle de sortir après le dîner ce soir. Cette privation n’est pas le côté le moins douloureux de mon mal. Sans compter que j’ai le chagrin de voir que tu te méprends la pluparta du temps sur les plaintes qui m’échappent malgré moi. Je ne savais pas qu’il fût si difficile d’être vieille et malade et d’aimer comme à vingt ans. Une seule de ces trois choses suffirait à occuper la vie d’une pauvre femme comme moi mais les avoir toutes les trois à mener de front… C’est trop de deux, madame… [1] Heureusement pour tes chers petits-enfants que tu t’es décidé à les mener promener tantôt. Je craignais pour toi et pour eux un effondrement de pluie accompagné d’éclairs et de tonnerre mais je commence à me rassurer car l’orage semble reculer au lieu d’avancer. Il paraît que Mme Charles est partie plus tôt que tu ne pensais. Cela redouble mon regret de n’avoir pas pu mettre à profit ton charmant projet de dîner au cabaret en compagnie de Môsieur le Petit Georges et de madame la Petite Jeanne. Décidément je suis impardonnable d’être une vieille bête malade. On en tue tous les jours qui ne le méritentb pas autant que moi.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 218
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « plus part ».
b) « mérite ».