Guernesey, 17 décembre, [18]65, dimanche matin, 7 h. ¾
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour. J’espère que tu as le bon esprit de pioncer de toutes tes forces en ce moment même, car il ne te servirait de rien d’être levé puisqu’il ne fait pas encore jour. Je t’écris à tâtonsa, ce qui n’a aucun inconvénient, ni pour ma belle écriture, ni pour mon bel esprit, ni pour mon amour qui est ma lumière DES LUMIÈRES. Tâche de dormir, mon pauvre piocheur acharné, ta journée n’en sera que meilleure si tu prends le temps de te reposer un peu plus que de coutume. Quant à moi, j’ai peu et mal dormi, ce qui m’arrive plus souvent qu’à mon tour sans porter préjudice à ma santé générale. À preuve ZOZO D’EMS [1], QUATRE ZOMMES ZÉ UN CAPORAL [2]. Je ris, mon cher bien-aimé, mais au fond je suis très tourmentée de savoir comment tu te tireras de l’encombrement de ton christmas [3], du jour de l’an et de ton travail qui ne s’interrompt pas et qui ne peutb pas s’interrompre [4]. Tout cela est effrayant et je voudrais être d’un mois plus vieille pour te savoir hors de cette presse, sain et sauf. En attendant, il serait à désirer que ta valetaille bigotec te laissât tranquille, au moins tout ce temps-là. Quant à la mienne, de valetaille, je l’ai disciplinée, rationnée et dosée catholiquement de façon à n’en être pas gênée, ni importunée, ni incommodée. C’est un service que je leur rends et que je me rends. Je regrette que tu n’aies pas pu en faire autant de prime abord. Aujourd’hui, il faudrait un certain effort qui te donnerait plus de peine que cela ne vaut. Donc tu fais bien de laisser la bride sur le cou à toutes tes servardes et de garder la tranquillité dont tu as tant besoin. Je vais aller voir si tu es levé, mon doux adoré, avec le désir de te saisir au passage et de te donner mon âme dans un clin d’œil.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 209
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « tâton ».
b) « peu ».
c) « bigotte ».