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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 15 décembre, [18]65, vendredi matin, 7 h. ¾

Cette fois c’est un bonjour, PARLANT À VOTRE PERSONNE, comme disent les PROTÊTS [1]. Il y avait déjà un peu de temps que je vous guettais quand vous êtes apparu à votre balcon, votre oriflamme en main [2], comme un vrai roi que vous êtes. Mes yeux, ma bouche, mon cœur, mon âme vous ont acclamé avec enthousiasme, avec bonheur et avec délire. Mais j’ai eu beau me pencher et agiter mon mouchoir, malgré la gêne des passants, vous ne m’avez pas vu, ce qui est assez humiliant pour votre humble sujette. C’est égal, je vous ai vu. J’espère que vous avez passé une meilleure nuit que l’autre donc je suis heureuse. Je le serais bien plus encore, mon adoré bien-aimé, si tu me traitais moins cérémonieusement quand il s’agit de mes devoirs généraux d’hospitalité envers tout le monde et particulièrement envers toi. Les précautions oratoires que tu prends très sérieusement pour me demander un verre d’eau me donnent un ridicule et un odieux pour ceux qui en sont témoins que je ne mérite pas, Dieu le sait, et tu devrais le savoir aussi bien que lui, car voilà tout à l’heure trente-trois ans que je te donne mon dévouement, c’est-à-dire mon amour, sous toutes les formes. J’ai peut-être même, et c’est probablement à cause de cela que ta politesse ironique d’hier m’a attristée, pris trop vivement fait et cause contre le sans gêne bigot et outrecuidant de tes servantes qui désertent ta maison, sans égard pour le service qu’elles te doivent. Je conviens que cela ne me regardait pas et que j’ai eu tort de m’en mêler, surtout avec cette vivacité qui pour être dans mon tempérament n’en n’est pas moins choquante. Une autre fois je m’abstiendrai soigneusement de toute démonstration à ce sujet… Je te prie de me pardonner pour cette fois encore et de m’honorer à l’avenir de ta confiance chaque fois que tu auras besoin d’un verre d’eau, fût-il de Seltz [3]. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16386, f. 207
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Acte dressé par un huissier de justice ou un notaire constatant le non-paiement ou le refus d’acceptation d’un effet de commerce et permettant des poursuites immédiates contre le débiteur.

[2Voir Torchon radieux.

[3Eau gazeuse faite d’eau pure et chargée d’acide carbonique sous forte pression, elle était connue pour ses propriétés médicinales.

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