Guernesey, 3 décembre, [18]65, dimanche, 7 h. ¼ du matin
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour à l’aveuglette en attendant le jour. Comment s’est passée la nuit ? Sénat a-t-il été tranquille ? As-tu bien dormi ? Comment va ton cher petit bras [1] ? Il était bien rouge hier au soir. Je crois que tu ferais bien de cesser l’usage permanent de compressesa de camphre à haute dose pour un aussi petit bobo. Il ne faudrait pas substituer à une petite lésion insignifiante, d’après l’avis même du médecin et qui se répandra à la longue, une irritation très intense de toute la peau du bras. Déjà hier la rougeur s’était beaucoup étendue et l’épiderme était entamé à l’endroit de la compresse. Je me permets toutes ces réflexions outrecuidantes à travers mon amour qui se croit le droit et le devoir de tout oser quand il s’agit de t’épargner une souffrance inutile. Si je me trompe, c’est à bonne intention, pardonne-le-moi. Bum ! Voici sa majesté soleil qui fait son entrée officielle dans le monde [2]. Qu’il soit le bienvenu et vive l’amour et la joie si vous avez bien dormi toute la nuit sur vos deux chères petites oreilles. À propos, je ne sais pas si j’ai des AILES mais je sais que vous me PLUMEZ sans pitié tous les soirs, ce qui est peu généreux, SAVEZ-VOUS ? C’est aujourd’hui jour de messe, voilà pourquoi je me lève un peu plus tôt. Je ne dis pas : RÉVEILLE plus tôt. Seulement, au lieu de ronronner dans mon lit chaudement en pensant à vous, lisant mes journaux, je me hâte de m’habiller et de déjeuner pour leur laisser le champ libre d’aller l’une après l’autre à l’église, voilà tout. Comme je serais heureuse ce matin si j’étais sûre que tu as bien dormi et que tu ne souffres pas. Dans le doute, je remplace la joie par un redoublement d’amour.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 195
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « compresse ».