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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 avril [1842], samedi matin, 9 h. ¼

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon âme, comment va notre cher petit malade [1] ? Bien, je l’espère, je le désire de tout mon cœur pour lui, pour toi, pour moi, pour tous. Je te demande pardon d’avoir été si lourde et si endormie hier pendant que tu étais là, mon cher adoré. Voilà déjà plusieurs jours que je souffre : les coliques m’ont repris cette nuit et ce matin je sens que j’ai les intestins très douloureux. Il va falloir [enrayer  ?] encore le régime, c’est fort ennuyeux [2]. Mais je te parle de moi tandis que je ne m’occupe que de toi et que ça m’est bien égal de me bien ou de me mal porter puisque tu ne profitesa pas de ma santé.
Je voudrais savoir bien vite comment mes deux Toto ont passé la nuit, voilà ce qui m’intéresse et me tient au cœur à fer et à clous. Tu devrais bien venir me le dire avant ce soir, mon Toto chéri, parce que d’ici-là tu ne sais pas toutes les inquiétudes, tous les tourments qui m’obséderont en dépit de la raison et déraisonnements que je me ferai pour me tranquilliserb. Voilà un affreux temps gris qui éternise les maladies, je voudrais qu’il fût au diable et que nous ayons du beau soleil pour guérir et pour réjouir mes deux pauvres Toto adorés. J’ai envoyé savoir au marché des nouvelles de cette pauvre petite Lanvin [3]. La nuit a été moins agitée que la précédente, du reste aucun mieux apparent, pauvre enfant et pauvres parents. Il est impossible de penser à elle et à eux sans les plaindre de son cœur.
Mon bien aimé Toto, tu feras une bonne action en venant me dire comment ton petit malade a passé la nuit. Je te verrai, cela me fera du bien et du bonheur pour toute la journée. En attendant, je me tourmente et je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 281-282
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « profite ».
b) « tranquiliser ».


16 avril [1842], samedi soir, 7 h. ½

Voici déjà un petit morceau de mon bonheur quotidien de dévoré, il ne m’en reste plus qu’un autre tout petit morceau qui ne remplira seulement pas ma dent creuse, tant je suis affamée. Je ne sais pas comment avec cette maigre pitance j’ai pu, depuis dix-huit mois, me traîner jusqu’à aujourd’hui [4]. Mais je vous préviens, mon Toto, que si cela continuait encore quelque temps comme ça que je crèverais comme un pauvre chien enragé. Baise-moi, mon cher petit bien aimé, et laisse-moi geindre un petit peu, j’en ai bien besoin nonobstant la défense du Sieur Louis, docteur médecin et féroce [5]. Je voudrais savoir mon pauvre petit garçon guéri [6]. Pauvre petit si doux et si charmant, si courageux et si travailleur. C’est bien cruel et bien injuste au bon Dieu de le faire souffrir. Ce que je dis du petit garçon, je le dis du grand homme qui est bien le plus noble, le plus dévoué et le plus ravissant des hommes. Pauvre ange bien aimé, tu es inquiet et tourmenté et il n’y a pas moyen que tu ne le sois pas aimant tes petits enfants comme tu les aimesa et moi-même je ne suis pas sans crainte quoique j’aie au fond du cœur l’espoir que ça ne sera rien et que nous en serons tous quittesb pour la peur. Mais en attendant, le pauvre petit souffre. Je vais bien prier le bon Dieu pour qu’il passe une bonne nuit et pour que tu viennes bientôt te reposer dans mes bras. Mon cher adoré bien¬ aimé, il y a bien longtemps que nous ne sommes plus heureux. Je ne sais pas si ce temps touche à sa fin. Mais je sais que je donnerais de ma vie tant qu’on voudrait pour une nuit passée auprès de toi. Voilà ce que je sais et que je sens bien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 283-284
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « aiment ».
b) « quitte ».

Notes

[1François-Victor Hugo. D’une santé très fragile quand il était enfant, il tombera très souvent malade. Depuis le début du mois de février il souffre d’une grave maladie pulmonaire qui connait beaucoup d’améliorations et de rechutes dont la convalescence n’interviendra qu’à l’automne.

[2Juliette a déjà été malade au mois de février et malgré sa convalescence du mois de mars, elle souffre encore régulièrement de maux d’estomacs ou de tête. Lors de sa maladie, elle était soumise à un régime alimentaire rigoureux.

[3La veille, Juliette apprenait par Suzanne la maladie de la fille du couple Lanvin, atteinte d’une fluxion de poitrine.

[4Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps. L’année précédente, le poète était trop occupé à la rédaction de son ouvrage Le Rhin et leur voyage annuel n’a pas eu lieu. Il sera à nouveau annulé cette année.

[5Juliette a été souffrante au mois de février et en longue convalescence en mars sous la surveillance de son médecin, le docteur, M. Triger.

[6François-Victor Hugo. D’une santé très fragile quand il était enfant, il tombera très souvent malade. Depuis le début du mois de février il souffre d’une grave maladie pulmonaire qui connait beaucoup d’améliorations et de rechutes dont la convalescence n’interviendra qu’à l’automne.

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