Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1842 > Mars > 18

18 mars 1842

18 mars [1842], vendredi, midi ¾

Bonjour mon Toto adoré. Bonjour mon cher bien aimé. Bonjour ma vie, bonjour mon âme. Comment vas-tu, mon bon petit homme ? Tu n’es pas revenu cette nuit. Je t’attends ce matin. J’attends aussi ce hideux Triger qui ne vient pas et qui ne viendra peut-être pas, ce qui serait assez adroit pour une grosse bête comme lui [1]. Ceci te mettrait fort à l’aise pour les jours de sortie, n’est-ce pas scélérat ? Mais de moi-même je me consigne aujourd’hui à cause du VENDREDI [2] et aussi un peu à cause du temps froid et noira. On n’est pas plus raisonnable que moi. Claire est avec Mlle Hureau et une autre jeune fille à je ne sais quel sermon, ellesb reviendront bientôt je l’espère, car elles sont parties depuis neuf heures du matin et il est bientôt midi [3]. Je n’ai pas encore déjeunéc, moi. Je ne me sentais pas d’appétit tantôt et j’ai attendu qu’il vînt. Je crois qu’il est arrivé, car j’ai des tiraillements d’estomac atroces. Je te dis des choses bien insignifiantes et bien puériles, mon Toto, mais c’est toi qui le veux. Après mon amour qui est le grand événement, le seul événement de ma vie, la seule occupation de mes jours et de mes nuits, tout le reste n’a pas plus d’intérêt que le brin de paille que le vent fait voler dans la rue inutiled et inoffensife à tout et à tous : pour que mes actions aient quelque importancef il faut que tu en sois l’objet.
Je suis très prête, mon Toto. Quand tu voudras, comme tu voudras, autant et PLUS que tu voudras. Voici Claire qui rentre avec Mlle Hureau. Baise-moi mon cher adoré, je t’aime de toute mon âme et bien plus encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 173-174
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « noire ».
b) « elle ».
c) « déjeuner ».
d) « inutiles ».
e) « innofensifs ».
f) « quelqu’importance ». 


18 mars [1842], vendredi après-midi, 4 h. ¾

Vous ne venez pas mon Toto, est-ce le mauvais temps qui en est la cause ? Je ne le crois pas, car cela ne vous arrête pas d’ordinaire. Je pense que vous travaillez, mon pauvre petit homme, et que c’est là ce qui vous empêche de venir embrasser votre pauvre Juju. Me trompai-je ?
J’ai « enfin » vu ce gros stupide médecin, il m’a trouvéea assez bien parce que mon dîner d’hier m’avait un peu tourmentéeb cette nuit à cause de l’oseille que j’avais mangée à mon dîner, genre d’herbage qui même en bonne santé [ne] me convient pas. Il m’a recommandé sur toute chose le régime selon les goûts et les antipathies de mon estomac. Il aurait voulu que je fisse hier une promenade. Dès qu’il fera beau, il en prescrit une moitié en voiture, moitié à pied pour avoir le soleil sur le dos, style Triger [4]. Du reste il reviendra encore une fois, sans préciser le jour, en acceptant la chance de me trouver ou de ne pas me trouver bien entendu, mais dans l’après-midi pour ne pas NOUS GÊNER [5]. C’est moi qui ai indiqué cela parce que je ne veux que rien ne soit entre mon bonheur et vous.
J’ai aussi vu Penaillon [6] à qui j’ai acheté cinq bons mouchoirs de poche pour toi. Claire les ourlera et les marquera. Je les ai payésc 11 F, ils ne sont pas chers mais ils ne sont pas POUR RIEN. Je les ai achetésd parce que toi et moi en avons le plus pressant besoin. Du reste, rien de nouveau à la maison, car je ne prétends pas te donner comme nouveauté un amour de neuf ans et un mois qui a été toujours de plus en plus fort. Je te désire, je t’espère, je t’attends, sinon avec patience, du moins avec la confiance que tu vas venir et en t’excusant si tu ne viens pas. Jour Toto, jour mon cher petit O, aime-moi, baise-moi. Pense à moi. Sois-moi fidèle et reviens bien vite. Je souffrotee bien un peu, mais cela tient au mauvais temps et puis le médecin m’a prévenue qu’à cause de cette petite suppression momentanée je serais un peu malingre tout le reste du mois. C’est peu encourageant mais enfin il faut vouloir ce qu’on ne peut empêcher. Je t’aime mon Victor. Voilà qui n’a ni haut, ni bas, ni suppression, ni retard.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 175-176
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « trouvé ».
b) « tourmenté ».
c) « payé ».
d) « acheté ».
e) « souffrotte ».

Notes

[1Après avoir été malade au mois de février et en convalescence depuis début mars, Juliette pense qu’elle est enfin rétablie. Elle n’attend plus que l’approbation de son médecin, le docteur Triger, dont elle se défie. Cela fait maintenant deux jours qu’elle attend de lui donner congé.

[2À élucider.

[3Claire Pradier, qui depuis 1836 est en pension dans un établissement de Saint-Mandé, vit actuellement chez sa mère depuis le mois de janvier et ne sera de nouveau admise dans son pensionnant qu’au mois de mai.

[4Après avoir été malade au mois de février et en convalescence depuis début mars, Juliette est enfin rétablie. Elle n’attendait plus que l’approbation de son médecin, le docteur Triger.

[5C’est habituellement le matin que Victor Hugo vient rendre visite à Juliette.

[6Pauline.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne