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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 octobre [1835], samedi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, mon Victor. Je t’aime. J’ai le cœur encore tout gros de la conversation d’hier au soir d’où il est résulté pour moi la certitude que tu t’imposais des privations dans les chosesa les plus nécessaires de la vie. Cette conviction jointe au petit chagrin de voir que tu ne me comprends pas ou que tu me comprends mal dans les petits accès de jalousie qui me passent par l’esprit font que je suis très triste aujourd’hui et très honteuse. Je voudrais pouvoir ajouter tout ce que j’ai en bien-être et en aisance à ta vie. Je voudrais effacer de ta mémoire toutes les petitesses que je t’ai débitées hier. Il me semble que tu m’en aimerais davantage et moi je suis sûre que je serais moins tourmentée.
Pauvre bien-aimé, tu auras travaillé cette nuit malgré l’heure avancée, malgré tes pauvres yeux malades. Quand je pense à cela, il me prend des envies de fuir à l’autre bout du monde pour ménager ta santé et conserver ton amour. Car il me semble toujours que dans ce travail opiniâtre l’une de ces deux choses doit s’user et peut-être toutes les deux à la fois. Va, mes nuits ne sont pas toutes si bonnes et si remplies de sommeil que tu crois. J’ai le plus souvent l’angoisseb de tes veilles à mon chevet que je n’ai de tranquillitéc et de doux rêves.
Mon Victor bien aimé, pardonne-moi tout ce que je t’ai dit hier et permets-moi de réformer comme je l’entendrais la dépense de ma maison. Nous y gagnerons tous les deux en tranquillitéc et en bonheur.
Je t’aime mon Victor, je t’aime encore plus.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16325, f. 40-41.
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « les chose ».
b) « l’angoisses ».
c) « tranquilité ».
d) « doux rêves ».


24 octobre [1835], samedi soir, 9 h. ¾

Je t’ai à peine vu aujourd’hui, mon cher bien-aimé, et cependant j’avais bien des choses tendres à te dire, j’avais bien de l’amour à te donner et bien de l’amour à recevoir. Enfin, j’espère que tu vas venir bientôt. Si tu savais depuis que tu es parti toutes les tribulations que j’ai euesa, tu me plaindrais. C’est, au lieu de la Seine près, la même histoire que le jour du fameux vendredi. Une fille soûle, pas de dîner [1]. Enfin, pour combler la mesure, une fille voleuse par dessus tout ça. Nous avons fort bravement pris notre parti de dîner par cœur, et Mme Pierceau une fois partie, j’ai donnéb le compte à cette fille qui s’en ira, Dieu mercic, dans huit jours. Voilà, mon cher petit homme, ce qui s’est passé de plus charmant depuis ton départ. Aussi juge si j’ai besoin de te voir, si j’ai besoin de te donner le trop-plein de mon cœur.
Je viens d’être interrompue par le balbutiement infect de cette créature qui me demande la raison de son congé. Tu penses que la leçon de l’autre soûlarde n’est pas perdue et que je me tiens sur mes gardes pour ne pas me laisser aller à un mouvement de dégoût et d’indignation.
Mais je voudrais te voir, mais j’ai besoin de te voir, mais tu es ma vie, mon univers, mon ciel. Tu es mon amant bien aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16325, f. 42-43.
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « eu ».
b) « donner ».
c) « mercie ».

Notes

[1Lors de leur séjour aux Metz, le vendredi 2 octobre, au retour d’une promenade avec Hugo, Juliette retrouva sa bonne complètement saoule (NAF 16324, f. 322-323) : « Arrivée à la maison, je n’y ai trouvé absolument personne. Je pensais que sans doute la bonne était allée aux châtaigniers […]. J’ai attendu comme cela les pieds dans l’eau, la pluie et le vent me fouettant de toutes parts cinq grands quart d’heure. Enfin, […] je vois arriver ma susdite bonne par un autre chemin accompagnée d’une jeune fille qui la ramenait du chemin de Versailles […]. Enfin, de tout ce margouillis, ce que j’ai le mieux démêlé, c’est que la susdite bonne était parfaitement saoule et que ce que j’avais de mieux à faire était de la laisser cuver son vin. »

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