Guernesey, 14 avril [18]68, mardi matin, 6 h.
Dors, mon cher bien-aimé, repose-toi bien. Je t’aime. Ma maisonnée est déjà sur pied à cause du départ de Suzanne [1]. Moi-même j’ai très peu dormi, peut-être un peu aussi à cause de cela. Mais je compte me dédommager la nuit prochaine. Je voudrais déjà que la pauvre fille fût revenue pour reprendre nos douces habitudes qui ne sont jamais plus complètes et plus intimes et plus tendres que chez moi. J’espère que ce mois de congé accordé à ma pauvre vieille Suzanne renouvellera son bail avec moi pour un bon bout de temps ; à moins que le goût de l’indépendance et de la vie de famille ne se développe tout à fait pendant sa villégiature chez ses parents. La chose est possible, trop possible même, pour mon égoïsme mais comme je n’y peux rien, je tâche d’y penser le moins que je peux. En attendant, j’ai pour point d’appui pendant son absence la petite Thérèse [2] toujours zélée et toujours gentille. Et puis j’ai ton amour, mon bien suprême. Partout et toujours avec lui, je ne crains rien ni ne désire rien de cette vie ni de l’autre. Être aimée de toi, c’est avoir la bénédiction de Dieu. T’aimer, c’est avoir le paradis dans l’âme.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 106
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette