Guernesey, 16 février [18]68, dimanche, 7 h. ¾ du m[atin]
Je m’en veux, mon cher bien-aimé, d’avoir manqué ton lever le jour de notre doux anniversaire [1]. Je m’étais pourtant fait une grande fête d’avance de te voir ce matin en l’honneur de la trente-cinquième date de notre premier baiser et voilà que le stupide sommeil s’est mis en travers de mon charmant projet. Pour m’en venger, je vais lire et relire toutes les pages adorables que tu as écrites depuis 1835 sur mon cher petit livre rouge [2]. J’ai le cœur plein de toi comme le premier jour où je me suis donnée à toi et mon émotion est aussi vive, aussi ardente, aussi passionnée en ce moment que la première fois où j’ai mis mon âme dans ton âme. Je voudrais baiser tes pieds. J’ai des larmes dans les yeux et en même temps j’éprouve le besoin de chanter tous les airs qui t’ont fait sourire autrefois. Il me semble que je ne t’ai jamais plus ni mieux aimé qu’aujourd’hui et c’est vrai puisque je t’adore toujours autant un jour que l’autre.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 45
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin, Pouchain]
Guernesey,16 février [18]68, dimanche, 3 h. après midi
Merci, mon cher bien-aimé, de la nouvelle page que tu viens d’ajouter au doux poème de nos anniversaires [3], poème religieux et saint que nos deux anges lisent en lettres de feu dans mon cœur et que Dieu bénit. J’espère qu’il exaucera ta prière qui est aussi la mienne et qu’il ne nous séparera jamais ni dans ce monde ni dans l’autre. J’ai hâte de te revoir, mon cher bien-aimé, car mon cœur déborde de tendresse et puis tu m’as paru triste et préoccupéa, ce qui m’est insupportable, encore plus à distance que près de toi. Si je me trompe, tant mieux, mais cela ne diminue en rien l’ardent désir que j’ai de baiser tes mains, tes pieds, ton front, tes cheveux, ta bouche qui me sourit et que j’adore. Quelle belle journée aujourd’hui ! On dirait que le soleil a voulu fêter aussi notre trente-cinquième anniversaire. Je lui sais gré de l’intention. Merci, soleil, quand tu manqueras de rayons, prends-en dans mon amour sans crainte de l’épuiser jamais.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 46
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]
a) « préocupé ».