28 juillet 1851, lundi, midi ¾
Voici l’heure arrivée où je dois commencer à t’attendre, mon Victor, chaque seconde qui s’écoule avec la lenteur d’une éternité d’impatience emporte avec elle toutes mes espérances au fur et à mesure que je les conçois. Qu’est-ce que je vais devenir pendant toute cette affreuse journée si je ne peux pas te voir ? Oh ! je me croyais plus forte, plus courageuse et plus résignée, mais je sens que je viens d’user toute mon énergie dans cette lutte horrible que je livre à mon désespoir depuis un mois. Mon Dieu qu’est-ce que je vais devenir seule enfermée avec cette affreuse date du 28 juin 1851 [1] ? Comment me défendre pour me sauver de son abominable étreinte qui me donne le vertige ? Quel moyen employer pour me soustraire à l’enivrement du suicide, à la volupté désespérée de la mort ? Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu que je souffre, ô je t’en supplie, ne me laisse pas seule ici aujourd’hui.
Minuit
Cette lettre commencée dans un paroxysmea de fièvre et de folie jalouse, je l’achève, grâce à toi, mon ineffable bien-aimé, dans le calme heureux de la confiance et avec toutes les saintes joies de l’amour partagé. Sois béni, mon Victor, autant que tu es respecté, vénéré, admiré et adoré par moi tu n’auras rien à désirer dans ce monde et dans l’autre.
Juliette
BnF, Mss NAF 16369, f. 147-148
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon, Blewer]
a) « paroxisme ».