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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 22 novembre 1852, lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon pauvre sublime piocheur, bonjour. J’espère que tu as passé une meilleure nuit que moi. Cela ne t’aura pas été difficile pourvu que tu aies seulement dormi une heure tout d’une haleine et que tu n’aies pas souffert un peu de partout. Il est vrai, mon pauvre doux adoré, que ton travail suffit de reste pour te donner des insomnies, aussi je ne serais pas étonnée que tu aies fait comme moi de ton côté. Dans ce cas-là, mon cher petit homme, tâche de rattraper le sommeil perdu ce matin en dormant toute la grasse matinée. Je ne sais pas pourquoi je te dis toutes ces choses qui, lorsque tu les lis, n’ont même plus la petite signification qu’elles ont au moment où je te les dis ; et quant à mes conseils, ils pourraient aussi bien et mieux remplacer la moutarde… après le dîner que t’être utilesa. Je le sais et pourtant je retombe toujours dans la même absurdité cela tient à ma vie d’huître physiqueb et morale. Je me fais cette indulgente illusion pour ne pas m’adresser à moi-même de maussades vérités. Mais cela ne m’empêche pas de t’aimer d’autant plus que je suis bête car tout ce qui manque dans ma pauvre cervelle je l’ai en plus dans mon cœur à défaut de pensées j’ai de l’amour à revendre à tout l’univers.

Juliette

Bnf, Mss, NAF 16372, f. 191-192
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « utile ».
b) « phisique ».


Jersey, 22 novembre 1852, lundi après-midi, 1 h.

Guignon sur guignon, mon cher petit homme, voilà la clef de ma montre cassée et je n’ai pas le moindre coucou pour me donner l’heure. C’est d’autant plus triste que c’est un besoin pour moi de savoir à quel point de la journée ou de la nuit je suis. Car c’est sur cette boussole que l’espérance de te voir plus ou moins tôt se règle et se dirige. Maintenant me voilà comme un corps sans âme, ce qui est peu agréable. Je viens d’envoyer Suzanne à Saint-Hélier [1] pour aviser à remédier le plus vite possible à ce bête d’accident mais je doute qu’on puisse ajuster tout de suite une clef dans ce pays sauvage. Je me plaignais ce matin de l’uniformité de ma vie, la providence s’est piquée au jeu en m’envoyant ce petit événement agaçant plus que triste. J’ai la bonasserie de m’en vexer au lieu de lui tirer la langue mais qu’elle n’y revienne pas parce qu’alors je l’humilierai par mon stoïcisme dédaigneux. D’ailleurs voilà qui me console de tout : c’est toi cher bien-aimé. Je viens de lire ta COPIRE et ma foi je lâche ma besogne fastidieuse à l’aiguille pour le TRAVAIL amusant de mon adoré petit homme que j’admire et que je baise depuis la tête jusqu’aux pieds.

Juliette

Bnf, Mss, NAF 16372, f. 193-194
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Saint-Hélier : capitale de l’île de Jersey, port où Victor Hugo et son fils Charles suivis de Juliette qui voyage de manière anonyme ont accosté le 5 août 1852.

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