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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 mai 1852

Bruxelles, 25 mai 1852, mardi matin, 7 h.

Bonjour mon grand petit homme, bonjour, mon trop aimé, bonjour. Je ne t’espérais pas hier au soir et pourtant je me suis couchée avec la même surprise douloureuse que si tu m’avais manqué de parole. Cela tient à ce que je ne peux pas me passer de te voir. Ton absence pèse sur mon cœur et l’oppresse comme le ferait le plus affreux malheur. Ce n’est pas de ma faute, cela ne m’empêche pas, mon doux adoré, de trouver que tu as bien fait de rester toute la soirée en famille. Je me trouverais misérable et odieuse à mes propres yeux si je sentais autrement. Aussi, mon bon petit homme, ne t’inquiète pas de mes tristesses que rien ne saurait empêcher loin de toi et sois bienheureux et rend bien heureuse la noble femme qui porte si dignement, si héroïquement ton grand nom. Je comprends du reste qu’elle n’ait besoin d’aucun appoint d’excursion et de distraction au bonheur d’être réunis à toi et à son fils [1]. Tout ce qui n’est pas vous exclusivement doit lui paraître importun et ennuyeuxa. À sa place, je sais que je n’oserais pas me bouger de peur de perdre un atome de ce bonheur si longtemps attendu et si chèrement acheté. Mais je m’occupe de ce qui ne me regarde pas… Si, cela me regarde, car mon cœur participe à vos joies comme il partage toutes vos douleurs, comme il s’associe à tout ce qui vous intéresse. Je me suis donnée entièrement à toi, mon adoré, c’est bien le moins que tu me laissesb prendre une petite part de ta vie. Tu es trop juste pour m’en empêcher. Aussi, je me permets de regarder avec les yeux de l’âme dans toutes vos saintes joies de famille.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 71-72
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieux ».
b) « laisse ».


Bruxelles, 25 mai 1852, mardi matin, 11 h.

Je fais bonne contenance, mon bien-aimé, et j’attends aussi vaillamment que je le peux le moment où tu pourras venir m’embrasser. Le diable n’y perd peut-être rien, mais je m’en fiche puisque cela ne m’empêche pas jusqu’à présent de bénir le moment qui t’a réuni à ta chère famille.
J’ai pris hier le renseignement pour l’emballage du bassin en cuivre. On ne connait personne de plus adroit que le tapissier de Mme W. [2], lequel travaille justement chez elle dans ce moment-ci. Si tu te décides à l’envoyer à Paris tu pourras t’entendre avec le susdit tapissier à ce sujet.
Mais, mon Dieu, quel sacrifice que celui que tu projettes ! Est-il donc tout à fait impossible de mettre tout ce précieux mobilier à l’abri ? Il me semble qu’il doit y avoir plus d’un moyen et pourtant puisque vous vous décidez à ce dernier sacrifice c’est que vous avez reconnu qu’il est tout à fait nécessaire [3]. Quant à moi, mon adoré bien aimé, je n’ai pas besoin de te dire que tu peux disposer du mien comme tu l’entendras. Je ne me reconnais pas le droit de garder mes reliques lorsque vous vous défaites des vôtres, à moins que ce ne soit pour vous les donner. Aussi, mon Victor, décide selon tes vues de mes pauvres bibelots qui ont vu toutes mes douleurs et toutes mes joies. Si tu penses que tu doives les conserver, tu peux en faire le capharnaüm de tout ce que tu voudras garder et que les Lanvin se feront un honneur et bonheur de conserver soigneusement. J’ai si peu de temps à te voir quand tu viens, que je t’écris tout cela à la hâte pour que tu prennes ton parti à ce sujet pendant que ta femme est encore là. Je te donne carte blanche car tout ce qui est à moi est à toi. Je te donne tout et moi avec. Prends le marché.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 73-74
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Mme Hugo fait un second voyage à Bruxelles du 24 au 26 mai pour arrêter avec son mari les dispositions à prendre concernant la vente du mobilier de l’appartement de la rue de la Tour-d’Auvergne.

[2Vraisemblablement Mme Wilmen.

[3Adèle a rejoint Victor Hugo à Bruxelles afin de mettre au point les derniers détails de la vente du mobilier de leur domicile parisien. Celle-ci a lieu le 7 juin 1852 et Théophile Gautier publie dans le journal La Presseun article dans lequel il souligne qu’il est encore plus pénible d’assister à la vente du « mobilier d’un homme vivant, surtout quand cet homme se nomme Victor Hugo, c’est à dire le plus grand poète de la France, maintenant en exil comme Dante » qu’à une vente après-décès. Il poursuit par une évocation de son amitié pour Hugo, puis par la description précise du mobilier, du décor et de l’agencement intérieur de la dernière demeure avant l’exil située 37 rue de La Tour-d’Auvergne et conclut : « tout ce mobilier domestique va être démembré et vendu hémistiche par hémistiche, nous voulons dire fauteuil par fauteuil, rideau par rideau. Espérons que les nombreux admirateurs du poète s’empresseront à cette triste vente qu’ils auraient dû empêcher, en achetant par souscription le mobilier et la maison qui la renferme, pour les rendre plus tard à leur maître ou à la France s’il ne doit pas revenir. En tout cas qu’ils songent que ce ne sont pas des meubles qu’ils achètent mais des reliques. » (Massin CFL, t. VIII, p. 1144)

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