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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 19 juillet 1852, lundi après-midi [2 h.  ? 4 h.  ?]

Cher bien aimé, je ne sais pas quelles sont les joies, quel sera le bonheur qui m’attendent demain, mais je sais que jamais projet joyeux n’aura été plus contrarié, jamais désir n’aura été plus cahoté dans des obstacles de toutes sortes, jamais espérance n’aura été plus meurtrie, par les déceptions que tout ce qui aura précédé cette fameuse journée de demain. Ainsi que je l’avais prévu j’ai trouvé Mme Luthereau fort désagréable à l’endroit de Waterloo [1] et trouvant fort dur et fort injuste de garder la maison pendant que son mari courait la campagne. Jusque-là je trouvais son amertume suffisamment motivée, mais quelques paroles méchantes m’étant directement adressées, j’ai été assez stupide pour m’en affecter au point de ne pouvoir achever de déjeuner et peut s’en soit fallu que je m’étouffasse en remontant dans ma chambre. Tu vois, mon pauvre bien aimé, que ce n’est pas chose facile pour toi ni pour moi que d’agripper une demi-journée de bonheur. C’est à y renoncer. Aussi mon pauvre adoré, si rien n’est emmanché avec Van Hasselt et Yvan je te rends ta liberté entière pour demain. Au moins ton pauvre Charles en profitera tandis que moi, il y a cent à parier contre un, que tout ce bonheur si longtemps attendu, si chèrement acheté par des mois de solitude et de souffrance tournera contre moi et se transformera en chagrin.
Je t’en supplie, mon Victor, et cela du fond de mon découragement, ne dérange rien à tes habitudes paternelles. Je renonce tristement mais sans amertume à cette journée trop impatiemment souhaitée pour être heureuse. Reste avec ton Charles, sois heureux de toute ma part de bonheur de perdu. Et puis ne t’inquiète pas de moi je t’assure que je suis tout à fait calme et résignée. Plus tard quand tu seras moins occupé de devoirs et plus dégagé de responsabilité morale envers ton pays et ta famille tu tâcheras de songer un peu à moi et tu me rendras tout le bonheur arriéré. D’ici-là je vois que je suis forcée de ne compter sur rien de bon et d’heureux. J’en ai bien pris mon parti. Tu verras si je suis une femme courageuse. En attendant, mon Victor, je trouve une douce distraction dans le manuscrit de ton Charles qui est vraiment bien remarquable et bien intéressant. Si ce beau jeune homme veut, il pourra se faire une belle place parmi les grandes intelligences. Et il ne peut pas ne pas vouloir. Ce début va l’encourager. Dieu sait maintenant jusqu’où il ira. Quant à moi je t’aime dans lui, dans toute ta chère famille que je vénère et que j’admire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 181-182
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Excursion à Waterloo projetée par Juliette avant de quitter la Belgique (voir lettre du 14 juillet 1852, mercredi après-midi, 3 h.)

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