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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 juin 1852

Bruxelles, 3 juin 1852, jeudi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour je suis abrutie mais je t’aime. J’ai la tête en compote mais je t’adore… il est impossible d’être plus souffrante sans être malade positivement que je le suis depuis quatre jours. Ajoutez-y une prostration générale et tu comprendras comment il se fait que je n’ai de courage à rien. Si je m’en croyais je passerais mes journées enfoncée stupidement dans un fauteuil sans faire aucun mouvement. Quoi qu’en dise le docteur Yvan, il y a là quelque chose à faire la bête et de ne rien faire et d’attendre que le mal ait usé l’animal. Si je connaissais un [illis.] quelconque dans lequel j’ai confiance j’aurais essayé de sortir de cet état d’abrutissement qui ne fait que croître et m’enlaidir. Et puis connais-tu rien de plus insupportable que de rabâcher toujours les mêmes jérémiades ? Quant à moi j’en suis furieuse pour toi et contre moi. Vraiment il faut que tu sois aussi patient et aussi bon que tu l’es pour ne pas sortir des gonds de la politesse en me criant : TAISEZ-VOUS. Mais ce que tu ne fais pas par pitié et par bon goût, je le fais moi par agacement et par embêtement. Taisez-vous Juju, taisez-vous ou je vous fiche des coups. Taisez-vous et parlons d’autres choses. Des tabatières, des [bretellières  ?], des carottières et autres sorcières en même métal qui vous font tant et tant de douces surprises sans compter les prises…de corps ce dont je fume [1] comme un vieux caporal. Tout cela joint à mes infirmités naturelles constitue un état physique et moral assez maussade et dont je ne vous rends nullement responsable.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 97-98
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Bruxelles, 3 juin 1852, jeudi soir, 5h.

Que tu es bon d’être venu, mon Victor, malgré tous les gens qui t’attendaient chez toi. Je t’en remercie du fond du cœur et je tâche de me faire de la patience, de la raison et du bonheur jusqu’à ton retour qui ne pourra pas être avant ton dîner, ce n’est que trop probable. Jusque-là je fais tout au monde pour faire diversion à l’horrible mal de tête qui me broie le cerveau mais jusqu’à présent je n’y ai pas réussi. Je suis plus abasourdie et plus aplatiea que jamais ; ça n’est pas drôle. Si Yvan vient ce soir je le presserais de me donner quelque chose pour sortir de cet état vraiment singulier et très douloureux. Mais jusque-là je crois qu’une petite promenade avec toi ce soir me ferait grand bien et je serais bien heureuse si tu pouvais me la faire faire. Je vais m’apprêter dans tous les cas car je n’ai pas encore quitté mes habits du matin tant j’ai peu de goût pour toutes les choses de la vie qui ne sont pas toi.
Mme Luthereau doit sortir de son côté avec son mari après le dîner ainsi nous n’avons aucun scrupule à avoir pour quitter la maison ce soir. Cher petit homme, il m’a été impossible de copier aujourd’hui tant j’étais souffrante mais demain j’espère que rien ne s’opposera à ce que je sois à ma chère petite besogne de très bonne heure. Ce sera bien le diable si je n’ai pas un moment de répit. D’ailleurs je le VEUX. Fichtre je me révolte à la fin et je m’insurge contre toutes ces vexations de migraines de rhumatisme de nerf et autres calembredaines de même nature. Je veux être une Juju bien portante, une Juju charmante, une Juju heureuse. J’en ai le droit et j’en use….[VIXI  ?].

BnF, Mss, NAF 16371, f. 99-100
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « applatie ».

Notes

[1Fumer (familier) : ressentir une colère, un dépit violents.

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