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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 19 avril 1852, lundi matin, 9 h. ½

Quel bonheur, mon bien-aimé, c’est aujourd’hui que je commence ma chère petite besogne de copiste [1]. Avec quellea ardeur et quel plaisir je vais m’en donner ! Comme je vais mordre à même toutes ces admirables choses parmi lesquelles tu as mis en hachis ce misérable pourceau de Bonaparte. J’y penseb je m’en lèche les babines d’avance, quel Bonheur ! Que de gens voudraient être à ma place et comme je ne voudrais pas être à celle de cet infâme drôle de président. Hier les [Ybaud [2]  ?] disaient qu’il ferait, le Bonaparte, tout son possible pour te faire acheter ton manuscrit par un éditeur de connivence, lequel ne publierait pas ton livre. Mais il est plus que probable que tu te tiens en garde contre ce cas-là et que l’expérience de Michelet et de Jacotet [3] n’a pas été perdue pour toi. Aussi je ne t’en parle que comme d’un écho des conversations d’hier soir dont tu as fait tous les frais tant l’admiration pour ton génie, le respect de ton noble caractère, l’affection pour ta séduisante personne sont présentsc à la mémoire de tous ceux qui ont l’honneur et le bonheur de te connaître. Maintenant tousd ces respectsd et toutes ces sympathies s’étendent jusqu’à tes deux vaillants fils si dignes de leur père. Avec quelle joie fière je recueille tous les hommages désintéressés rendus à ta personne et à toute ton héroïque famille. Si tu savais quel bien cela me fait, il n’y a que ta présence qui me soit plus douce à mon cœur. Le rayon de tes yeux éclipse pour moi l’auréole de ton grand front et je préfère à tous les encens qu’on brûle devant ta renomméef le parfum de ta belle bouche rose que j’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 315-316
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quel ».
b) « penses ».
c) « présentes ».
d) « toutes ».
e) « respect ».
f) « renommé ».


Bruxelles, 19 avril 1852, lundi après-midi, 1 h. ½

Je sais que tu vas bien mon cher petit homme, mais cela ne me suffit pas tout à fait. J’ai besoin de m’en assurer par les yeux, par les lèvres, par le cœur et par l’âme. J’ai besoin de voir ton beau et noble visage, de toucher tes doux cheveux, d’entendre ta ravissante voix, de respirer ton haleine. Est-ce que tu ne viendras pas bientôt ? Je sais bien que j’ai de quoi attendre avec moins d’impatience ta visite mais je suis si gouliaffe quand il s’agit de toi que ce n’est pas trop de ton manuscrit et de ta personne de ton génie et de ton corps pour tout mon amour. M.Luthereau m’a parlé tout à l’heure d’un projet qu’il veut te soumettre. Ce serait pour la fondation d’une revue littéraire dont tu aurais la direction occulte et dans laquelle ton fils Charles trouverait à s’occuper autant qu’il le voudrait. L’argent est trouvé. Ce serait une revue comme celle des deux mondes dont la politique serait tout à fait exclue. Autant que j’ai pu saisir Rémusat et Duvergier de Hauranne entreraient dans cette combinaison [4]. Au reste Luthereau t’en parlera avec plus de détails et d’une manière plus intelligible que je ne le fais je ne sais pas pourquoi si ce n’est pour le plaisir de bavarder comme une pie borgne sur tout et sur autre chose.
Il est probable que tu auras reçu une seconde lettre de Paris aujourd’hui qui te fixera définitivement sur le sort de cher petit [illis.] Toto. J’ai hâte de savoir comment cela s’est terminé et tout ce qui doit s’ensuivre non par pure curiosité mais par la plus tendre sollicitude pour tout ce qui intéresse ton cœur et le bonheur de ta chère famille. Tu n’en doutesa pas, n’est-ce pas ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 317-318
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « doute ».

Notes

[1Victor Hugo écrit Histoire d’un crime.

[2Haud : à élucider

[3En novembre 1851, Michelet se plaint dans son journal des « lenteurs » de son éditeur Jacotet à publier ses Légendes du nord.

[4Tous deux opposants au coup d’État, Rémusat et Duvergier de Hauranne ont dû quitter la France, où ils seront autorisés à revenir en 1852.

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