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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 mars 1852

Bruxelles, 3 mars 1852, mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour mon doux adoré, bonjour mon âme, mon amour se lève sur toi en même temps que le soleil pour te caresser, pour te bénir. Dors mon pauvre bien-aimé, car si tu es rentré en même temps que M. Luthereau tu dois n’en être encore qu’à la moitié de ta nuit. Il est probable que ton Charles sera venu te rejoindre et que profitant de sa clef tu seras revenu en même temps que lui et le jeune M. Luthereau. Je fais toutes ces conjectures parce que je ne vois pas trop comment tu aurais pu faire autrement à moins de t’en aller à 11 h., ce qui n’était guère possible toute politesse gardée. Enfin, mon pauvre bien-aimé, pourvu que tu n’aies souffert d’aucun des désagréments de la belle étoile et de la température frisquette de cette nuit, c’est tout ce que je demande. Le RESTE et les jolies cocottes n’étant pas de mon ressort. Quant à moi, mon petit homme je suis revenue bras dessus bras dessous avec la mère Luthereau qui a fait l’effort énorme pour elle de revenir jusque chez elle à pied. Il est vrai que ça n’a pas été sans peine et « sans piler beaucoup de poivre » [1]. Mais à moins de prendre un fiacre à Sainte-Gudule [2] il fallait se résigner à marcher jusqu’au bout. Nous nous sommes couchées à minuit ce qui ne m’a pas empêchée d’entendre rentrer M. Luthereau après 2 h. du matin. Mais vous, mon cher petit homme, vous aurez bien d’autres choses à me raconter si vous êtes sincère. Les jolies femmes, les agaceries, les goinfreries, la musiquerie et tutti quanti. Nous verrons si votre récit concordera avec celui du lithographe. En attendant, je vous aime résolument comme si j’étais sûre de votre vertu et de son auguste famille.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 167-168
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « touti quanti ».


Bruxelles, 3 mars 1852, mercredi après-midi, 3 h. ½

Qu’est-ce que vous dites donc, homme comblé, que la petite tasse à faveur rose est pour Charles ? Si c’est avec cette tasse-là que vous espérez me faire avaler toutes les mystifications dont vous m’abreuvez, je vous préviens que vous aurez un peu de peine.
En attendant je me parfume de votre pot de violette qui deviendra pour moi quelque affreux pot aux roses, tant je flaire quelque effrontée drôlesse sous cette dérisoire modestie en pot, dont je profite pour le quart d’heure jusqu’au moment où mes GIROFLÉES [3] à cinq feuilles s’épanouiront toutes grandes sur le nez de votre bouquetière anonyme. Je sais que vous n’avez pas vu Charles et que vous êtes parti à 11 h. ½. Je sais en outre par Mme Reybaud qui est en bas que c’était parfaitement ennuyeux malgré la présence de Dumas et les poses vaporeuses des deux jeunes beautés de l’endroit. Mais je ne m’en rapporte pas à elle pour connaître vos impressions. Je sais que ce qui vous amuse ne doit pas être positivement du goût de la vieille bonne femme. Il paraît que Dumas a été très bavard, toujours d’après Mme Reybaud, et qu’il s’est beaucoup extasié sur le livre [4] que tu fais maintenant. Il dit que le coup d’État n’eût-il servi qu’à te faire faire ce livre on devrait en savoir gré au Bonapartez et lui élever des statues. Je serais peut-être de son avis et j’en suis quand même et les yeux fermés pour le très peu que j’en connaisse, ce qui ne m’empêche pas de souhaiter la peste et la rogne à ce même Bonaparte pour le mal qu’il aurait voulu te faire. Voilà ma généreuse mansuétude pour ce féroce crétin.
Je sais que M. Yvan est chez toi. Est-ce qu’il ne te serait pas facile de sortir en même temps que lui sous prétexte de santé et de venir me voir avant ton dîner ? Je n’ose pas y compter mais je serais bien heureuse si tu le faisais d’ici là. Je t’aime en pots, en bottes, en blé, en herbe, en arbre, en chiendent à pleines racines, à tout cœur et à tous crins.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 169-170
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1À élucider.

[2Il s’agit de la collégiale Saints-Gudule-et-Michel que Victor Hugo appelle Sainte-Gudule et qui s’appelle aujourd’hui Saint-Michel. Victor Hugo et Juliette Drouet ont visité l’édifice lors de leur premier séjour bruxellois en 1837. Pour le poète ce fut un éblouissement. Avec la chaire de Verbruggen qu’il décrit en détail, il semble découvrir l’art baroque qu’il tenait jusque-là pour une dégénérescence du classique.

[3Terme familier pour « gifle ».

[4En mars 1852 Victor Hugo a commencé la rédaction de l’ouvrage qui ne sera édité que beaucoup plus tard, après son retour d’exil en 1870, sous le titre Histoire d’un crime. Les souvenirs et les indignations rassemblés sur le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte serviront plus rapidement à l’écriture entre mai et juillet 1852 de Napoléon le Petit.

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