22 décembre [1841], mercredi, midi ½
Bonjour vilain menteur, bonjour monstre d’homme. Comment que ça va ? Vous êtes bien venu, n’est-ce pas ? Oh ! vous êtes très gentil, il faut le dire vite. Baisez-moi, monstre, et SOURIS-MOI.
On a porté votre paquet chez Plon [1], on a été chez Claire qui m’a envoyé deux pots de fleurs artificielles pour la chambre de Dédé [2]. Mlle Hureau m’a fait savoir qu’on est content d’elle et qu’elle travaille bien. Voilà les nouvelles officielles de ce matin. Vous êtes un méchant homme de n’être pas venu ce matin car vous n’aviez aucun empêchement tandis que demain, quelle quea soit la précaution oratoire que vous ayez priseb pour me faire accroire que vous n’iriez pas à la séance solennelle qui sec prépare, je crois très fort que vous irez et que vous voterez pour MACHIN ou pour TURLUTUTU comme plusieurs académiciens que la pudeur m’empêche de nommer, voilà ma conviction [3]. Taisez-vous, vous êtes une bête qui ne méritez pas l’amour que j’ai pour vous. Taisez-vous, taisez-vous. Je ne suis pas votre amie ce matin, tant s’en faut qu’au contraire. Je n’aime pas les menteurs, moi.
Il fait joliment beau aujourd’hui mais vous ne viendrez pas plus tôtd pour cela. Vous ne me ferez pas sortir ce soir, il n’y a pas de danger. Vous ne vous prodiguez pas comme ça deux jours de suite, vous. Baisez-moi, baisez-moi et aimez-moi ou sinon je vous tue pour de bon. Je n’ai plus que 9 jours et demi pour avoir quelque chose de bien bon et de bien doux à baiser et à adorer [4]. C’est encore bien long mais ça vient. En attendant, je t’aime de toute mon âme et de tout mon cœur, mon Toto chéri. Je voudrais baiser tes chers petits pieds. Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 235-236
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « quelque ».
b) « pris ».
c) « ce ».
d) « plutôt ».
22 décembre [1841], mercredi soir, 5 h. ¼
Je viens d’envoyer chercher un garde-vue, le mien était tout à fait hors de service. Je vous ai fait acheter un savon que je VOUS DONNERAI et que vous n’aurez pas volé, Dieu merci. C’est propre, n’est-ce pas, COCHON de FRANÇAIS, la manière dont vous vous conduisez avec moi ? C’est gentil, n’est-ce pas, REGARDEZ UN PEU VOIR, je vous attends depuis ce matin et voilà comme vous venez. VOUS ÊTES UN FIER GUEUX [5]. Il n’y a cependant pas d’Académie ni de rien du tout aujourd’hui, c’est pour cela que vous vous empressez de me tourner les talons. Si j’en faisais autant de mon côté, qu’est-ce que vous diriez, monstre ? Toujours est-il que je bisque et que je rage [6] depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre et que je trouve ce genre-là fort monotone. Je voudrais en changer, ne fût-cea que pour voir la différence qu’il y a entre s’embêter à mort ou être heureuse à la journée. Je sais bien que vous allez me dire votre refrain éternel : - JE TRAVAILLE, mais je sais aussi qu’il y a bien des moments de repos que vous pourriez me donner sans vous gêner et que vous donnezb à des curieux et à des indifférents. Ne dites pas non parce que vous mentiriez inutilement, mais tâchez de m’aimer comme autrefois et vous trouverez le temps de me le prouver. Je vous aime, moi, comme jamais homme n’a été et ne sera aimé par une femme comme vous par moi. Ceci est la vérité, mon amour, comme Dieu la voit. Je t’aime de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 237-238
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « fusse ».
b) « donner ».