27 août 1881

Paris, 27 août 1881, samedi matin, 8 h.

Mon pauvre bien-aimé, je crains que nous ayons passé la nuit tous les deux logés à la même enseigne, non à celle du sommeil, mais à celle de l’insomnie carabinée, pour moi, d’un affreux mal de tête et d’un vilain mal d’estomac.
Cette disposition m’a fait penser forcément à ton projet d’introduire chez toi la femme Baa [1]. Parmi tous les expédients possibles de te débarrasser^a de ce hideux élément noir dans notre vie intime, je n’en connais pas de plus dangereux pour notre tranquillité à tous et de moins pratique à l’exécution. D’abord du fait de la présence étrange de cette femme dans ton intérieur ; la curiosité posant son point d’interrogation aussi bien par les personnes de l’extérieur que par celles de l’intérieur ; les cancans qui s’en suivront^b, tous plus venimeux les uns que les autres ; enfin la nécessité de faire habitable un coin de ton jardin qui ne le serait même pas en ce moment pour un chien ; à cette dépense, ajoute celle de la nourriture, l’entretien et l’argent de poche de cette créature et tu trouveras qu’il serait plus simple et d’une meilleure économie de renvoyer ce monstre à ses savanes, quitte à lui donner une petite somme une fois pour toute. Émile Allix pourrait sans que tu t’en mêles directement, arranger cette affaire-là et nous délivrer tous du dégoût et de l’ennui de ce malséant^c voisinage. Penses-y, mon adoré, et crois bien que je te parle ici dans toute la force et la sincérité de mon amour et de ma raison qui ne veut que le respect de ta gloire et de ta maison, ta tranquillité et ton bonheur.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16402, f. 195
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « débarasser ».
b) « suivrons ».
c) « malséan ».