4 juin [1841], vendredi matin, 9 h.
Bonjour, mon cher adoré, bonjour, mon Toto, bonjour du fond du cœur. Mon pauvre bien-aimé, comment vas-tu ce matin ? As-tu un peu reposé cette nuit, mon Toto [1] ? Je t’aime mon Victor, je pense à toi, je te désire, je t’aime. Je sens bien que tu ne pourras pas me donner beaucoup d’instantsa tous ces jours-ci à cause de l’affluence des amis et des admirateurs et puis surtout à cause de l’apparition de ton discours [2], de tes deux volumes [3], et des deux reprises de tes pièces aux deux théâtres [4]. Je sais cela et j’en suis triste d’avance car ma vie c’est de t’aimer et ma joie de te voir. Aussi, mon adoré, ne prends pas pour de la mauvaise humeur, la tristesse et le découragement que me donne ton absence. Je t’aime, mon Victor adoré.
Quelle belle journée hier, mon amour. Malgré la rage de tes ennemis [5] et la jalouse maladresse du RÉPONDANT [6], il y avait dans vos deux discours la même différence que dans vos deux personnes : le tien loyal, noble, simple et sublime, l’autre tortueux, commun et bouffi. Toi si beau, si doux, si grave et si radieux, l’autre si laid, si rouge, si rogue et si grimaudb. Enfin, pour mêler ton divin langage à mon petit babillage de Juju, c’est que si Dieu choisitc les plus beaux vases pour y mettre ses plus précieux parfums, je ne désire jamais sentir celui de Salvandy, à moins que je ne sois complètementd enrhumée du cerveau.
Sur ce baisez-moi et pardonnez-moi de mal parler du physiquee et du moral de votre illustre collègue mais je ne pouvais pas faire autrement. Je t’aime, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 221-222
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « instant ».
b) « grimau ».
c) « choisi ».
d) « complettement ».
e) « phisique ».
4 juin [1841], vendredi après-midi, 3 h.
Avant de me mettre à travailler, mon cher bien-aimé, je veux te donner ma pensée, mon âme toute entière dans ces deux petits mots qui contiennent toute ma vie : je t’aime.
J’aurais bien désiré te voir, mon ravissant petit homme, mais je sais bien que tu ne t’appartiens pas aujourd’hui, aussi je ne t’en veux pas mais je t’aime, voilà tout.
Il m’est resté, depuis le moment de ton entrée dans la salle de l’Académie, un étonnement délicieux qui tient le milieu entre l’ivresse et l’extase. C’est comme une vision du ciel dans laquelle j’aurais vu Dieu dans toute sa majesté, dans toute sa beauté, dans toute sa splendeur et dans toute sa gloire. Je vivrais mille ans que cette impression ne s’effacerait pas de mon cœur. Mon Victor, mon Victor, je t’aime. Je voudrais baiser tes pieds, je voudrais te porter dans mes bras, je voudrais dire et faire mille folies et répandre surtout le trop plein de mon cœur.
Quand te verrai-je, mon cher bien-aimé ? Quand serai-je la plus heureuse des femmes, mon Victor ? Je te désire plus que de toutes mes forces, je t’aime comme jamais homme n’a été aimé. Tout cela n’a pas la puissance d’attraction puisque tu ne viens pas, mon adoré bien-aimé.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 223-224
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud]