24 avril [1841], samedi matin, 11 h.
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit homme adoré. Quelle affreuse dormeuse je fais, j’ai le sang à la tête, je suis hideuse. Voici le beau temps, je vais bientôt me mettre à avaler la médecine, cela me réveillera peut-être [1]. Mais vous n’êtes pas gentil de n’être pas venu me surprendre cette nuit comme vous me l’aviez dit et vous êtes encore trois fois plus vilain, malgré votre blason, de ne m’avoir pas lu la cheminée de Sainte-Menehoulda [2] après me l’avoir offert et quand je m’y étais si bien préparée. Pour ceci je vous en veux sérieusement parce que cela dépendait tout à fait de vous et que vous vous êtes maniéré, ce qui est indigne de vous. Vous ne vous êtes pas conduit en bon et simple Toto dans cette occasion, aussi je ne suis pas contente de vous. Il ne faudra rien moins que l’autre moitié de mon discours ce soir pour me raccommoderb avec vous [3]. En attendant, prenez bien garde à vos chers petits pieds. Mettez les bottes fines et j’écrirai au bottier de venir voir ce qu’on peut faire à cette botte coupée.
Voici Totorinet [4] qui entre chez moi. Il s’est poséc juste en face de mon lit, ses petits pieds sur la bordure de rose. Maintenant le voici sur la table qui becquette mon châle vert. Est-y gentil, il a les pieds presque aussi petits que les vôtres et je suis sûre qu’il me lirait plus que vous sa cheminée de Sainte-Menehoulda s’il en avait une dans ses manuscrits. Baisez-moi, méchant ours, et ne vous laissez pas avoir les pieds mouillés. Entendez-vous ça, brigand, je vous adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 83-84
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « Sainte-Menehou ».
b) « racommoder ».
c) « poser ».
24 avril [1841], samedi soir, 4 h. ¾
Bonjour mon Toto, vous ne venez donc pas, vous ne voulez donc pas venir du tout [5] ? Si vous croyez que cela m’arrange vous êtes dans l’erreur. Je trouve le temps fort long, fort lourd, fort maussade et fort ennuyeuxa sans vous. J’ai beau avoir le plus joli et le plus spirituel des bichons [6], cela ne me suffit pas pour passer mon temps fort gaillardement. J’ai un mal de tête atroce : voici huit jours que j’ai mis le pied dans la rue. C’est trop, mon adoré, et si vous n’avez pas juré de me faire mourir d’apoplexie foudroyante, vous tâcherez de me faire marcher un peu ce soir. En attendant, je vais copier de l’album vert [7]. Il fait bien beau aujourd’hui, à la bonne heure, le bon Dieu aura eu pitié de vous et de vos vieilles BAUTTES. C’est bien de sa part car il aurait pu vous envoyer de la bonne averse qui vous aurait fait faire [bejie, bejie ?] dans vos pieds comme au célèbre NAVET lorsque ses souliers buvaient tout l’eau sur les trains de bois de la rivière [8]. Je vous aime, mon petit bonhomme, je vous aime quoique, malgré que et quand même que. Dans tousb ces que là, j’excepte LES QUEUES féminines que vous pourriez me faire [9]. Sous aucun prétexte je ne les accepterais, quand il s’agirait de votre vie et de la mienne. Venez vite et je vous pardonne.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 85-86
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « ennuieux ».
b) « tout ».