29 janvier [1841], vendredi soir,7 h. ½
Je commence à soupçonner, mon cher petit homme, que vous pourriez bien dîner chez le maréchal Oudinot aujourd’hui [1]. Cette précaution de gants blancs neufs comme Potier dans M. Pique-Assiette [2], cette précaution de ne rien manger à déjeuner et enfin ce raccommodagea d’habit, tout cela est autant d’indices que vous allez dîner en ville. J’aimerais mieux moins de CHINOIS tirant la langue [3] et plus de Toto dans mes épinards.
[Dessinb]
Si vous croyez m’amadouer en me jetant des Chinois dans la GEULE vous vous trompez grossièrement. Je ne veux que vous en fait de magots [4], c’est bien assez mais je vous veux tout entier sans absence et sans distraction. Je suis furieuse de penser que j’ai été la dupe de toutes vos simagréesc de déjeuner, de toilette et de promesse de venir souper ce soir. Affreux bonhomme, vous n’avez qu’à vous bien tenir ce soir car je vous secouerai comme un prunier plein de prunes.
J’ai reçu une lettre de Mme Krafft tantôt, sans le moindre pain à cacheter et sans la plus petite cire. Je n’en ai pas moins respecté la consigne et je ne l’ai pas ouverte, c’est gentil j’espère. Vous n’en feriez pas autant vous, vieux scélérat. Taisez-vous, taisez-vous, vous m’exaspérez.
Madame Guérard n’est pas venued quoique la vieille mère me l’eût annoncée pour aujourd’hui. Je suis sûre que la vieille bonne femme venait pour dîner avec moi hier mais j’ai eu le NEZ de ne pas m’en apercevoire. Voime, voime, PHAME . J’aime mieux le banquet D’ANACRÉON [5] et Pauline en trois actes que toutes les mères Guérard de la nature. Je ne suis pas difficile comme vous voyez. Je t’aime toi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 87-88
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « racommodage ».
b) Dessin illustrant la remarque précédente : un Chinois tirant la langue et Victor Hugo tirant la langue en habit de cérémonie :
- © Bibliothèque Nationale de France
c) « simagrés ».
d) « venu ».
e) « appercevoir ».
29 janvier [1841], vendredi soir, 7 h. ¾
Voici votre lettre d’hier, mon cher petit CRÉANCIER. Je m’empresse de m’acquitter envers vous, je ne veux rien vous DEVOIR mais je voudrais vous avoir. Dieu sait où vous êtes et quelle GRIMACE vous faites dans ce moment-ci auprès DES BELLES. Si je vous y prenais, vous pourriez bien en voir 36 chandelles par le procédé que vous connaissez.
[Dessina]
Taisez-vous, vieux sournois, je suis sûre que vous dînez en ville ce soir. Je suis furieuse d’avoir été la dupe de vos blagues tantôt, une autre fois je me tiendrai sur mes gardes et je vous ENTONNERAI de la NOURRITURE de force. Je confisquerai les gants JAUNES [6] et je laisserai vos habits en loques. Soyez tranquille, vous ne m’y reprendrez plus.
En attendant, je suis mystifiée. QUEL BONHEUR !!! Reviens-y, PÔLISSON, je te mettrai dans une POSITION AFFREUSE. Tiens-toi pour avertib et méfie-toi des 36 chandelles. Tâche de ne pas revenir trop tard de tes orgies, vieux saloP [7]. Je voudrais bien pouvoir ne pas t’aimer.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 89-90
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) Dessin illustrant la remarque précédente : Juliette la main tendue vers Hugo tirant la langue :
- © Bibliothèque Nationale de France
b) « avertit ».