4⁓février [1841], jeudi, midi ¾
Eh ! bien, mon cher bien-aimé, vous avez joliment tenu votre promesse, n’est-ce pas ? Vous êtes un affreux menteur, taisez-vous.
J’avais un si horrible mal de tête cette nuit que je ne savais pas ce que je disais. Je me suis couchée bien vite et j’ai éteint ma lampe tout de suite, je n’en pouvais plus. C’est bien ennuyeuxa d’avoir cette infirmité autant que moi, dans un mois j’ai vingt-cinq jours mal à la tête. Dès que le beau temps viendra je te prierai, mon bon petit homme, de me faire sortir. Si je n’y gagne pas de bien pour ma tête j’y gagnerai du bonheur pour mon âme, ce qui n’est pas à dédaigner. Je t’aime, mon Toto, je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Je voudrais bien que tu pussesb faire aller ma Claire à ta réception [1], ce serait un grand bonheur pour elle et pour moi et tu sais que les occasions en sont très rares pour elle comme pour moi. J’en serai quitte pour dire à Mme Guérard que je n’avais qu’un seul billet et voilà tout. Je n’ai pas besoin de me gêner avec qui ne se gêne pas avec moi.
J’attends la lettre de cette femme pour mon père. [2] Tu me permets de la décacheter tout de suite, n’est-ce pas ? Je suis impatiente de savoir si mon pauvre père ne va pas mieux. Tu comprends cela, n’est-ce pas mon adoré ?
Il paraît que la servante de la Ribot est venue ce matin mais sans lettre. Elle a dit à Suzanne qu’elle venait de la part de sa maîtresse marchande de cachemires [3] pour me parler. Suzanne ne m’a pas réveillée, elle a bien fait, mais je prévois qu’il faudra donner une réponse tôt ou tard à cette voleuse. [4]
Je t’aime, mon Toto.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 107-108
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « ennuieux ».
b) « pusse ».
4⁓février [1841], jeudi soir, 10 h. ½
Mes femelles sont parties [5], mon bien-aimé, et je vous écris tout de suite pour me rabibocher car, vrai, elles ne sont rien moins qu’amusantes. Mme Guérard, à peine la dernière bouchée avalée, s’esta endormie jusqu’au moment de s’en aller. Mme Triger a battu la breloque et Madame Besancenot, qui est venue me voir avec ses deux petites filles, a fait des cuirs de quoi faire des bottes à l’écuyère à un régiment entier de dragons. Bref, je m’approche seulement du feu à présent depuis l’heure où je suis levée. Je savais bien que j’aurais Mme Guérard à dîner aujourd’hui puisqu’elle s’était invitée depuis un mois mais je ne comptais pas sur Mme Triger. Enfin cela égaie un peu la maison et je n’en suis pas fâchée pour cette pauvre Claire qui sans cela trouverait les jours de vacances assez maussades et par trop monotones [6].
Je m’aperçoisb qu’en fait de monotonie et de détails fastidieux ma lettre peut passer pour un modèle du genre, mon pauvre bien-aimé. J’ai cependant le cœur plein de désirs, d’impatience et d’amour. Je t’ai à peine vu, mon pauvre ange, j’ai à peine eu le temps de voir et d’admirerc ta belle figure rayonnante. C’est tout au plus si j’ai eu celui de baiser ta belle bouche rose que j’adore. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je n’ai pas encore reçu de lettre pour mon pauvre père. J’appréhende d’en recevoir et cependant je trouve le temps long. Je t’aime mon Toto.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 109-110
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « c’est ».
b) « apperçois ».
c) « amirer ».