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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 juillet [1836], vendredi matin, 10 h. ¼

Bonjour cher bien-aimé, comment vas-tu ? Je pense bien à toi mon cher petit homme, ce qui ne m’empêche pas d’être triste. Rien ne peut suppléera à ta présence adoréeb. J’ai beau me faire des raisonnements sur la nécessité où tu es de travailler, ça n’avance pas à grand-chose puisque je suis plus impatiente et plus désireuse que jamais de te voir.
Il fait un furieux vent ce matin. LA MER DOIT ETRE BIEN BELLE A VOIR. SI NOUS Y ALLIONS ? Hélas ! le temps est passé de faire ces propositions-là et de les accepter à l’unanimité. Je voudrais bien encore y être, et vous ?
Cher petit Toto je me creuse la tête pour te dire des choses extraordinaires, je ne trouve jamais rien dans ce qui me sert d’esprit, sinon que je t’aime et puis que je t’aime et voilà tout, ce qui ne constitue pas une nouvelle bien fraîche ni bien variée. Enfin moi, je n’ai pas d’autre chose de joyeux en moi, il faut bien que je m’en contente à moins de supprimerc mes lettres, mon cerveau et mon cœur ce qui me réduirait à 0. Ce dont vous ne seriez peut-être pas très fâché après tout.
En attendant mon cher petit homme je fais des vœux pour que vous soyez bête comme trente six mille bonnets CAENNAISd [1] ; pour que vous vous ennuyieze autant que moi ; dans l’espoir que tout ceci réuni vous fera venir trouver de préférence votre pauvre

Juliette

BNF, Mss, NAF 16327, f. 194-195
Transcription de Nicole Savy

a) « supléer ».
b) « adoré ».
c) « suprimer ».
d) « caenais ».
e) « ennuiez ».


29 juillet [1836], vendredi soir, 6 h. ¼

Cher bien-aimé, j’ai beau travailler et beau m’occuper, je trouve la journée éternelle et je m’impatiente contre toi qui ne viensa pas, contre moi qui ne sais pas t’aimer assez peu pour t’attendre patiemment. Au reste j’ai le temps de souffrir car il est très probable que tu ne viendras pas encore aujourd’hui, ce qui me constituera une fête de juillet un peu triste. Il est vrai que j’ai dans ma rue des pétards et des pétaudières qui me cassent la tête, et me font sauter à six pieds au-dessus de ma chaise, ce qui me fait beaucoup de plaisir. [2]
Si j’osais, j’aurais un nez de carton assez grand pour m’y loger toutb entière, mais je sais que cela vous contriraitc, c’est pour cela que je me tiens sur mon bâton en faisant la roue en vous attendant.
Ô mon bon petit homme que tu serais béni si tu venais à présent ne fût-ced que le temps de voir dans tes yeux si tu m’aimes encore. Tu ne sais pas combien je serais heureuse. Je ne le sais pas non plus moi, mais il me semble que je prendrais tant de bonheur tant de joie et tant d’amour que j’en aurais au moins pour toute ma vie. Mon petit homme bien-aimé écoute-moi, entends-moi et viens.

Juliette

BNF, mss, NAF 16327, f. 196-197
Transcription de Nicole Savy

a) « vient ».
b) « toute ».
c) Verbe « contrir » non attesté, sur « contrit » ; à moins qu’elle confonde avec « contrarierait ».
d) « fusse ».

Notes

[1Porté par les hommes puis par les femmes, le bonnet de coton était la coiffe traditionnelle des Normands, avec toutes sortes de variantes locales, et était diversement apprécié des voyageurs. Visiblement Victor et Juliette, lors de leur voyage en Normandie, se sont rangés parmi ses détracteurs.

[2Profitant de l’anniversaire de la révolution de Juillet, Louis-Philippe inaugure le 29 l’Arc de triomphe de l’Étoile. Il accomplit le projet napoléonien dans un but de réconciliation nationale. Le Marais alors très populaire où vit Juliette célèbre bruyamment la fête.

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