Bruxelles, 17 septembre [18]67, mardi matin, 8 h. ½
Où en es-tu de ta nuit, de ta santé et de ton cœur en ce moment, mon grand adoré ? Si j’étais chargée de répondre pour toi selon mon désir, je dirais que tu as très bien dormi, que tu te portes encore mieux et que tu m’aimes un tout petit peu, et cette réponse me satisferait tant je suis accommodante. Mais cette fonction de porte-voix ne m’étant pas dévolue, je me borne à parler pour moi ce matin et je te dis ceci : « Nuit excellente, santé idem et amour dix mille millions de milliards plus idem, idem, idem, idem ».
Le ciel a tordu son petit brouillard d’automne sur le pavé ce matin, ce qui me fait espérer qu’il aura le temps de se sécher pendant toute la journée et que tu pourras faire faire à ta femme la promenade qu’elle désire au bois de la Cambre. Je crois qu’il ne te sera pas difficile d’avoir une voiture découverte tantôt. Je me suis amusée médiocrement hier aux galeries Saint-Hubert [1]. Ces salaisons, ces arlequins de lieux communs, toute cette charcuterie malsaine qu’on nomme opérette, vaudeville, etc. dévoient l’esprit sans satisfaire la gaîté. L’on sort de là écœuré et abêtia. J’aime encore mieux mon tête-à-tête avec Suzanne. La bêtise est plus sincère et moins frelatée.
BnF, Mss, NAF 16388, f. 229
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « abêtti ».