13 mai [1849], dimanche matin, 7 h. ½
Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour et bonne chance dans ton élection si cette élection ne doit pas être un danger pour toi [1]. Comment vas-tu, mon petit homme ? Bien fatigué et bien ennuyé, n’est-ce pas ? Quant à moi, je trouve que le métier de citoyen et de tribune est le pire de tous les métiers et je leur préfèrerais de beaucoup celui de bon bourgeois les pieds au soleil, la tête à l’ombre, l’amour dans le cœur et deux mois des rubans de queue [2] de grand chemin et de bonheur. Il est vrai qu’on ne choisit pas la vocation sous la république, et que ces passeports coûteront cinquante mille francs avec la manière de ne pas s’en servir, ce qui sera tout profit. Tout cela est gai comme une tragédie en cinq actes et en vers. C’est dommage que je n’aime pas la tragédie, voilà tout. Je n’ose pas te demander quand tu viendras aujourd’hui, et même si tu viendras à cause de tes affaires. Maudites affaires, quand donc n’en n’entendrai-je plus parler ? J’en ai un peu plus que par-dessus la tête, aussi je serai bien débarrassée quand ce sera fini, fini, fini. Jusque-là, il faut que tu me permettes d’être la plus embêtée des Juju, ce dont je m’acquitte, du reste, avec plus de conscience que d’admiration pour la sainte république, cette affreuse Margot à l’œil poché, à la jupe courte et aux pieds sales. Fi, la vilaine, comment peut-on aimer une pareille femelle et lui faire des petits. Il faut avouer que les hommes sont bien…. tragaldabas [3].
Juliette
MVHP, MS a8204
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine