Bruxelles, 4 août [18]67, dimanche matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher bien-aimé. Que Dieu te garde de tout mal, toi, et tous les tiens, et qu’il ne nous sépare jamais dans cette vie ni dans l’autre. C’est la prière ardente que je lui adresse tous les jours et à tous les instants.
Ce n’est que tout à l’heure que j’ai eu le courage de regarder la triste petite image de la pauvre petite Marquand [1]. Je comprends le désespoir de toute sa malheureuse famille. Désespoir d’autant plus horrible qu’on aurait pu la sauver, en supposant qu’on puisse soustraire à l’implacable fatalité quand elle vous a marqué au front. Cette lugubre catastrophe serre le cœur et fait trembler pour tous ceux qu’on aime en y songeant.
Cher, cher, cher adoré, sois prudent, ménage ta vie qui est ma vie et aime-moi comme je t’aime.
Je crois que le temps est tout à fait fixé au beau. Maintenant c’est à toi de trouver le plus tôt possible le lieu le plus sain et le plus agréable pour la villégiature générale. Quant à moi, tout m’est bon, Bruxelles compris, surtout si je pouvais t’y voir à tous les instants de la journée et sans contrainte. Je ne suis pas difficile comme tu vois. Je me contente du bonheur complet.
BnF, Mss, NAF 16388, f. 207
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette