Jersey, 27 août 1855, lundi après-midi, 4 h.
Je tâche de croire que tu es là, auprès de moi, que tu ne me quittes pas et que je suis très heureuse. Il n’y a que la foi qui sauve, comme on dit. Malheureusement la mienne n’est pas encore assez robuste pour me faire cette douce illusion en ton absence complète et indéfinie. Cependant, je ne dois pas me plaindre trop haut puisque j’ai en perspective un bon petit vendredi... gras de cocottes et d’ascensions plus ou moins périlleuses et encore plus croustillantes. Charles Asplet sera avec la voiture à la maison à midi précis à ce qu’il a dit à Suzanne. Il paraît d’après cela qu’il y a une sixième place dont il n’est pas fâché de profiter pourvu qu’il fasse beau temps ce jour-là. Pourvu que les cocottes ne troussent pas leur queue trop haut, pourvu que votre libertinage ait plusieurs pieds de culotte sur le nez, pourvu que je ne regrette pas trop ma confiante témérité, pourvu enfin que le dîner ne soit pas brûlé et que nous ayons tous un appétit d’enfer et toutes les joies du paradis (avant la pomme) dans le cœur, pourvu que je ne sois pas trop bête et que je vous n’ayez pas trop d’esprit, pourvu que, que et que... je me déclarerai la plus heureuse des Juju et vous le plus vertueux des Toto. En attendant, j’ai une assez fichue mise et des maux d’estomac capable de donner des contractions nerveuses à la machine de Marly [1] elle-même. Mais vous, mon petit homme, que faites-vous, où êtes-vous pendant ce temps-là et à quelle paire conteza-vous vos peines. That is the questions auxquelles vous ne répondrez que lorsqu’il vous plaira, comme il vous plaira [2], et ce qu’il vous plaira...
Juliette
BnF, Mss, NAF 16376, f. 328-329
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) « comptez ».