Bruxelles, 26 juillet [18]67, vendredi matin, 7 h. ½
Cher adoré bien-aimé, j’espère que tu dors encore ainsi que toute ta maisonnée et ce n’est qu’à pas de loup que je t’envoie mon bonjour. Je viens de m’apercevoir que ma pauvre petite restitus d’hier est restée au fond de mon tiroir, ce qui ne m’étonne pas avec les Atwooda [1] et les Duverger qui se disputent ton attention et peut-être ton cœur, à en croire les bouquets symboliques et les télégrammes hyperboliques que t’envoient ces dames de l’un et l’autre monde. Tout cela est bien fort contre des pauvres petites pattes de mouche comme les miennes. Aussi, je le répète, je ne m’étonne pas qu’elles soient complètementb distancées. Je le comprends et je te pardonne, tel est mon abaissement… piteux.
Je pense déjà avec inquiétude que je ne te verrai presque pas encore aujourd’hui pour peu que les chiens à fouetter dans la journée et le dîner chez Bérardi se multiplient et se prolongentc outre mesure. Tout cela n’est pas gai même en compagnie de ces bons Berru, doublés de grande Duchesse [2]. Mais comme je ne veux pas me rendre insupportable avec mon vieil amour, je prends mon courage à deux mains et je me résigne crânement à mon sort, quel qu’il soit, dans l’espoir de prendre ma revanche à Guernesey.
En attendant, je t’aime à cœur que veux-tu ? Et je t’adore de toute mon âme.
BnF, Mss, NAF 16388, f. 198
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « Hadvood ».
b) « complettement ».
c) « se prolonge ».