Guernesey, 11 décembre 1861, mercredi matin, 9 h.
Bonjour, mon cher bien aimé, bonjour plus particulièrement encore à cette date bénie qui t’a tiré des griffes de Bonaparte [1]. Bonjour cœur et âme, amour et bonheur, je t’adore.
Je ne te demande pas comment tu as passé la nuit, ni comment tu vas ce matin car à cette distance la réponse ne peut m’être faite que par le désir et l’espoir que j’ai que tu aies bien dormi et que tu te portes bien. Cela ne m’empêche pas de trouver que tu as le plus grand tort d’exposer à cette brume matinale toute ta literie qui s’en imprègne et ne peut pas sécher suffisamment dans le reste de la journée, le soleil n’ayant pas assez de force pour cela. Jusqu’à présent toute cette imprudence t’a réussi, mais ce n’est pas une raison pour la continuer, au contraire. Quant à moi, mon cher adoré, je prêche d’exemple en ouvrant pas même mes fenêtres tant que le brouillard n’a pas disparu. Je sens que je vous embête avec ma morale en action et en gribouillis mais je m’en fiche si je peux vous épargner un bobo à force de vous tanner de mes recommandations hygiéniques. À propos d’hygiène, la visite à Mme Duverdier tient-elle encore pour tantôt, si le temps est assez bon pour cela ?
Dans ce cas-là, il ne faut pas que je flâne, avec cela que c’est aujourd’hui jour de blanchisseuse. Donc, mon cher petit homme, je me hâte de vous flanquer mes tendresses à tort et à travers : gare là-dessus ! Je t’aime, mon Victor béni, je passerais ma vie à te le dire sans épuiser mon cœur et sans jamais me lasser. Tu es ma joie et mon bonheur, tu es la vie de ma vie et l’âme de mon âme.
BnF, Mss, NAF 16382, f. 176
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette