Guernesey, 11 février 1861, lundi matin, 8 h.
Bonjour, mon cher petit bien-aimé. Bonjour, santé, amour, bonheur. Comment vas-tu ce matin, mon cher petit homme ? As-tu bien dormi ? Comment se comportent tes pilules et ton mal de gorge ? Tu allais bien hier au soir mais je sais trop, mon pauvre petit homme, que ce n’est pas une raison pour qu’il en soit ainsi ce matin, c’est pourquoi je ne suis pas tranquille tant que je ne t’ai pas vu et que tu ne m’as pas donné toi-même l’assurance que tu vas bien. J’attends avec impatience le moment où tu viendras pour savoir à quoi m’en tenir. Jusque là, je t’aime et j’espère. Je t’écris de mon lit, où je reste chaudement, en attendant que le feu soit allumé. Il fait si froid ce matin qu’il serait presque impossible de rester assise sans feu. Voilà pourquoi je reste paresseusement au lit. Du reste, il fait beau ou du moins il fait du soleil, ce qui n’empêche pas le vent et le froid, malheureusement pour ta pauvre gorge. Peut-être qu’il n’en fera plus tantôt, dans ce cas, nous en profiterions pour faire une bonne petite promenade, à travers champs. Cher bien aimé, tu dois être bien ennuyéa de mes monotones gribouillis qui ne varient jamais, ni dans la forme ni dans le fond. Autant vaudrait lire l’AMOURE, l’AMOUERRE, l’AMUAIRE, puisque je ne m’occupe jamais que de la température de mon amour et des changements barométriques de la saison. Encore si j’étais M. Babinet [1] vous vous en lécheriez les barbes mais je ne suis qu’une simple Juju, ce qui n’est ni instructif, ni amusant. Je sens bien que vous en prenez votre parti fort courageusement mais cela ne m’empêche pas de savoir que je suis bête comme une oie et que je vous aime comme un chien !
BnF, Mss, NAF 16382, f. 40
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette
a) « ennuié ».