Guernesey, 31 mars [18]63, mardi, 1 h. ¼ après midi
Ce n’est pas tout que d’aller en votre chère compagnie sur la montagne tantôt, il faut encore que mon cœur se goberge dans une bonne petite restitus avant de quitter la maison. Du reste je fais tout en courant ; ma vie n’est qu’un éternel galop que mon amour stimule et éperonne jusqu’au dernier relaisa. Et puis quel beau temps aujourd’hui et comme le bonheur d’aimer s’épanouit à l’aise parmi ces douces [1] effluves du printemps. Je sens tout cela mieux que je ne le dis. Mon âme a les ailes du printemps mais mon pauvre esprit clopine et trébuche à tous les mots de la langue et à toutes les difficultés de la grammaire. Donc ce que j’ai de mieux à faire c’est de garder mon style pour manger des choux et de t’aimer terre à terre et sans aucune métaphore comme une bonne vieille bonne femme que je suis. Je voudrais déjà être à ce soir pour te posséder en deux exemplaires en ta personne et celle de ton fils [2]. J’aurais désiré pour toi et pour lui que ton jeune enthousiaste Pelleport [3] eût prolongé son séjour ici mais [pour moi ?] je ne regrette rien personnellement tant que je te possède . Donc à ce soir ma joie, mon bonheur, mon festival, mon amour je t’adore.
BnF, Mss, NAF, 16384, f. 84
Transcription de Chantal Brière