Guernesey, 18 mai [18]63, lundi après-midi, 1 h. ½
Il n’y a plus à s’en dédire, mon pauvre bien-aimé, l’acte de séparation de nos deux maisons est signé et contresigné [1] depuis déjà un quart d’heure et je ne sais pas encore si je dois m’en réjouir ou m’en affliger. Si j’en crois ta bonne promesse, cet éloignement de voisinage au lieu de nous séparer de CORPS nous rapprochera. Si cela est, comme je veux l’espérer, il ne faut pas trop regretter la résolution que nous avons prise puisque ma santé en profitera autant que mon bonheur. Tout dépend de toi, mon doux adoré, et c’est ce qui me rend si confiante en l’avenir. En attendant j’aurais bien désiré passer avec toi tout le reste de cette journée tant j’ai besoin de me rassurer sur les conséquences de l’action que nous venons de COMMETTRE en signant ce bail toi et moi. Ton départ immédiat me laisse plus seule en ce moment que d’habitude et il me semble que ma maison a déjà reculé d’auprès la tienne de toute la distance de la Fallue [2] à la maison Domaille. Cette impression me donne une tristesse que je ne puis pas vaincre quoi quea je fasse. J’ai besoin de te voir et de m’assurer que tu m’aimes autant qu’auparavant pour retrouver le sourire et la joie dont ma tendresse voudrait t’inonder comme dans un rayon de soleil.
J.
BnF, Mss, NAF, 16384, f. 129
Transcription de Chantal Brière
[Massin, Blewer]
a) « quoique ».