Février [18]34a
Le malheur ne m’a pas rendue ingrate envers vous – Le malheur ne m’avait rien enlevé de mon amour – Hier encore, je croyais à la durée de notre liaison – Aujourd’hui, la confiance a disparu – Je cède à une force cachée mais impérieuse – Je persiste dans une désespérante résolution – Pour ne pas céder aux impulsions de mon cœur – je confirme les sentiments qui ébranlent ma résolution – Oh, Victor, avez-vous jamais cru à mon amour, à mes chagrins – N’auriez-vous pas plus de confiance et d’estime – Vous auriez compris que lorsqu’il y a cinq mois [1], j’ai si profondément blessé votre âme – j’avais longtemps souffert, longtemps combattu – Vous savez si depuis mon respect, mon amour, ma résignation se sont démentis – Si j’ai résistéb avec courage à la nécessité chaque jour plus pressante – si j’ai reculéc devant un sacrifice qui doit laisser dans mon avenir une trace cruelle et ineffaçable – Rien de tout cela n’a pu trouver grâce à vos yeux – Je suis encore pour vous aujourd’hui ce que j’étais pour tout le monde il y a un an – Une femme que le besoin peut jeter dans les bras du premier riche qui veut l’acheter – Ce sont là les causes dures et irrésistibles de notre séparation – Voilà ce que je ne peux plus supporter – Je ne vous parle pas des autres causes déterminantes qui pour être secondaires n’en sont pas moins réelles – La jalousie de votre femme – les [charges ?] qui pèsent sur vous. Il faut que vous soyez libre et calme dans cette lutte de devoir et de travail – Moi, je ne vous affligerai jamais – du moins volontairement –
Adieu, bon Victor – Le cœur est brisé – Oh ! que votre peine s’adoucirait si vous pouviez lire dans ce cœur qui est à vous pour la vie – Un dernier baiser.
Juliette
[Adresse]
Pr toi
BnF, Mss, NAF 16322, f. 117-118
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon]
a) Date rajoutée sur le manuscrit d’une main différente de celle de Juliette.
b) « résistée ».
c) « reculée ».