12 juillet [1837], mercredi, midi ½
N’est-ce pas ennuyeuxa, mon cher petit bien-aimé, que j’aie toujours cet affreux bobo qui me force à geindre dans les moments les plus heureux de ma vie. Il y a des jours où cela m’attriste parce que je crains que ce ne soit sérieux, et alors je pressens que je perdrai ton amour avant la vie, ce qui serait pour moi une anticipation de l’enfer. J’ai comme cela une foule d’idées noires qui ne contribuent pas peu à me rendre maussade et insupportable. Jour mon gros to. La prochaine fois que vous coucherez avec moi, je vous danserai sur le ventre genre oriental. Nous verrons l’effet que cela vous fera. En attendant je vous invite à venir le plus tôt possible. Vous pouvez bien travailler à la maison, et puisqu’il fait mauvais temps, donnez-moib la préférence, autant moi qu’un aute [1]. Je vais raccommoder votre gant et nettoyerc les autres. Suis-je bonne de contribuer à vous faire beau, quand je devrais couper les pans de votre redingoted, déchirer votre chemise, sâlir [2] votre cravatee, et vous empêcher de faire votre barbe plus d’une fois par mois. Vous n’avez pas l’air de m’en savoir gré. Vous supportez ma bonté et mon abnégation avec la plus impassible tranquillité. QUEL CATACLYSMEf ! Je vous aime pourtant de plus en plus malgré vos nombreuses Bamboches [3].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 41-42
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « ennuieux ».
b) « donné moi ».
c) « nétoyer ».
d) « redingotte ».
e) « cravatte ».
f) « QUEL CATACLISME ! ». Ces deux mots occupent à eux seul toute la ligne.
12 juillet [1837], mercredi soir, 7 h. ¼
Oui, vous m’avez sauvé la vie. Oui, vous êtes un grand médecin. Oui, je vous aime. Après cette déclaration, je devrais bien taire ma GEULE, mais j’aime tant à parler que je continue mon cancan. Je voudrais bien savoir ce que vous êtes allé faire aux Tuileries, et dans un endroit des plus suspects encore [4]. Je crois qu’il est plus que temps que je mette ma police à vos trousses. Affreux Toto que vous êtes. Si vous me trompiez, vous seriez plus qu’un scélérat, vous seriez tout ce qu’il y a de plus cruel et de plus ignoble. Mais je ne crois pas cela, je crois que vous êtes aussi beau au-dedans qu’au dehors. Je crois que vous m’aimez et je crois que je suis très heureuse. Quelle joie si nous pouvions passer ensemble toute la journée de demain. Je ferais retentir les échos de Bougival [5] de mon fameux « quel bonheur ! » traditionnel et puis je monterais sur le plus haut de la plus haute tour sans me faire peur et comme une courageuse femme. QUEL BONHEUR ! Malheureusement, il n’y a rien de moins sûr que ce bonheur, et je renfonce mes hurlements dans le fin fond de ma gorge. Je vais vous copire la fameuse lettre [6]. Il est certain que ce [que] j’écrirai ne me compromettra pas dans une révolution – ni [mots illisibles]. Avec cela on peut passer partout et mourir de la gravelle [7] à son aise. C’est consolant. Jour mon petit homme. Jour mon petit To. Jour on jour on jour. Je vous aime, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 43-44
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein