20 juin [1837], mardi matin, 10 h. ¼
Je suis encore bien souffrante, mon cher adoré. Je ne me souviens que très vaguement que tu es venu cette nuit, excepté cela je ne me souviens de rien. Je viens de me lever à présent et si après déjeuner je ne me sens pas mieux, je serai forcée de me recoucher. Il a fallu que je sois bien en proie au mal pour ne pas me réjouir de te voir, ou du moins pour ne pas manifester ma joie par des caresses bien tendres. Je ne vaux guère mieux ce matin. Je ne me tiens pas sur les jambes tant mes douleurs de reins sont aiguës. Et ma tête est dans un état hideux. Je suis vraiment bien malheureuse. Vous m’avez renversé toute ma poudre, affreux scélérat, et par terre encore, de sorte qu’avec la douleur je ne pouvais pas la ramasser. Vous êtes un vieux brise-tout casse-tout avec ses mains. Je t’aime mon Victor chéri. Il ne m’est pas prouvé que le mauvais sang que je me fais presque tous les jours et depuis si longtemps n’entre pas pour quelque chose dans toutes les infirmités qui affligent mes DERNIERS JOURS. En attendant je vous aime de plus fort en plus fort comme chez Nicolet [1] et je désire vous voir absolument comme tous les jours. Jour mon petit o. Je t’aime mon pauvre petit homme et de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 315-316
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
20 juin [1837], mardi soir, 10 h. ¼
Vous saviez bien, mon cher petit homme, que je ne resterais pas toute une grande soirée comme cela sans vous écrire au moins un petit bout de lettre sur du papier emprunté.
Si ce qu’on dit est vrai, les oreilles ont joliment dû vous corner ce coir, car mon bec qui est assez bien affilé comme vous savez n’a pas cessé une minute de parler, et de vous. À force de vous aimer, je deviendrai bientôt aussi insupportable aux autres que je le suis déjà à vous-même. J’ai trouvé la bonne Mme Pierceau en train de dîner et m’ayant attendue jusqu’à l’heure où je suis arrivée. [Je] vous aime. Je t’aime, je vous adore, je t’adore mon Toto. Mon Toto tu es mon pauvre bien-aimé. Je serai ton chien. J’aurai une SIBILLE [2] dans ma GEULE. Et si jamais tu as besoin de voir par mes yeux, je te ferai voir la vie bien douce et bien bonne car je ne te ferai regarder que dans mon cœur [3]. Chère âme, ne me quittez pas plus que je ne vous quitterai, et vous verrez que nous serons inséparables même dans l’autre monde.
Pendant que vous faites des beaux vers, moi je fais du bon amour. Chacun fait son œuvre. Nous verrons laquelle sera la plus admirable dans l’autre vie. Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 317-318
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein