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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 juin 1837

5 juin [1837], lundi matin, 9 h. 20 m.

Tu t’en es allé bien vite, mon cher petit homme. J’aurais pourtant bien aimé à te voir plus longtemps et à déjeuner avec toi en souvenir de nos bonnes matinées d’autrefois. Malheureusement, ton travail te prend tout ton temps. Je ne me plains pas, je VOUS plains, car si de mon côté l’amour est impatient, du tien tu dois être bien désireux de te reposer, pauvre cher petit homme bien aimé. Tu dois voir, mon pauvre ange, que je prends mon courage à deux mains et que je fais assez bonne contenance. Cela est d’autant plus beau que j’ai le cœur débordant d’amour et l’âme remplie de tendresse qui ne demande qu’à s’épanouir.
Tu tâcheras de venir un peu aujourd’hui, n’est-ce pas Toto ? N’est-ce pas mon pauvre petit homme ? J’ai le frotteur [1] aujourd’hui. J’avais oublié de te dire hier que je lui avais parlé et que nous étions convenus à 5 F. par mois, deux fois par semaine. C’est une petite dépense que je crois nécessaire dans mes idées de nettetés exagérées. Et puis je suis si souvent dans mon nid qu’il est bien naturel que je le fasse le plus beau et le plus propre possible. Jour to. Jour mon petit Toto. Si tu pouvais venir déjeuner, ça serait si vite fait et ça me ferait tant de joie pour le reste de MON vieux jour que je vais encore passer sans te voir, et je t’aime tant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 263-264
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


5 juin [1837], lundi soir, 7 h. ¾

Eh ! bien Mme Pierceau n’est pas venue. Je ne m’en plaindrais pas si elle ne m’avait fait faire un surcroît de dépenses dont je me serais fort bien passée et si enfin elle n’apportait pas une chance pour t’empêcher de venir dans le cas où tu prendrais en pitié ma solitude, je dirais presque mon veuvage. Vraiment il y a des gens bien malencontreux dans le monde, et je n’en connais pas de plus malencontreux que Mme Pierceau si ce n’est moi qu’on pourrait appeler sans emphase Mme Duguignon [2]. Inutile de te dire que je m’embête cordialement et que je ne serai potable et tripotable que devant vous et par vous. Jour to. C’est-à-dire soir mon gros to. Je vous aime mon cher amour, je vous aime de toute mon âme. Quand donc vous verrai-je, MA DOUÉ MA DOUÉ [3] ! Traduction libre Hin ! hin !
Il fait un temps ravissant exprès pour me narguer. C’est lâche ! Encore si j’avais envie de chanter, mais c’est tout le contraire. Et si je me laissais aller à ma manie, je remplirais l’air de mes zhurlements [4]. Je vous aime, je vous aime, je vous désire je vous désire je vous désire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 265-266
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1« Frotteur » : celui qui frotte les parquets.

[2« Guigne » ou « guignon » : terme familier pour « malchance ».

[3« Ma Doué ! » : « mon Dieu ! » dans les anciennes langues celtiques et armoricaines.

[4La lettre « z » au début du mot marque l’insistance ludique sur la liaison consciemment fautive devant l’« h » aspiré.

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