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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 mai 1837

29 mai [1837], lundi, 1 h. du matin.

Tu m’as fait de la peine mon cher ange en interprétant ma préoccupation de toi pour de l’indifférence ou de l’oubli. Et pourquoi ? Pour les vers les plus charmants que tu m’aies encore adressés. Car ces vers, tu l’as dit, c’est un souvenir du jour où tu m’as vue [1], où tu m’as trouvée belle et digne de ton amour, et ce sont ces vers-là que tu m’accuses d’avoir je ne dis pas oubliés car je les sais par cœur, mais négligé de te copier. Mon bon ange, il m’est trop facile de me disculper. D’abord hier je n’ai pas eu une minute à moi. Malade et préoccupée de la représentation qui devait avoir lieu le soir, nous avons passé la plus grande partie de la journée en omnibus et sous la pluie. Le soir j’ai soupé avec toi et tu sais dans quel état. Ce matin je me suis levée tard, étant très souffrante et très absorbée dans le désir de te voir, par la lecture de toutes tes bonnes lettres, de tous tes beaux vers que j’ai relus tous avant que tu ne vinsses, parce que j’ai fait une excursion dans une partie de mes trésors. Voilà pourquoi je n’ai pas pensé à te copier les derniers. Je les avais tous lus et baisésa, et je n’avais pensé qu’à une seule chose : les fixer tous dans ma mémoire comme ils étaient déjà dans mon cœur. Ensuite tu es venu. Tu m’as apporté tes journaux dont la plupart parlent de toi. Cette préoccupation m’a encore empêchée de songer à copier et voilà comment il se fait que vous m’avez fait du chagrin tout à l’heure. Comment pouvez-vous me reprocher de vous avoir oublié parce que je pensais trop à vous. C’est comme si vous m’accusiez de négliger vos cheveux quand je baise votre bouche, d’oublier votre front quand je regarde vos yeux. Je t’aime, mon Victor, et je ne pense qu’à toi. Voilà ce qui est sûr et ce qui me vaut tous les reproches que tu m’as adressés ce soir. Je t’aime. Je ne pense qu’à toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 235-236
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « baiser ».


29 mai [1837], lundi matin, 10 h. ½

Mon cher petit homme, je ne suppose pas que c’est par bouderie que tu n’es pas venu cette nuit, car sans cela je ne m’en consolerais pas. Je veux croire que tous les moments que tu passes loin de moi sont indispensables à ton travail ou à ta famille. J’ai besoin de le croire pour les supporter avec courage.
Quand tu as été parti cette nuit, je me suis mise à copier tes vers et puis je t’ai écrit une petite lettre. Tu ne saurais croire avec quelle douceur, quelle joie et quel amour je me suis livrée à cette occupation. Je l’aurais prolongée toute la nuit sans avoir besoin de sommeil. Je t’ai vu mon cher bien-aimé. Je t’ai parlé mon adoré. Je t’ai baisé mon cher petit amant. Je suis contente et heureuse. J’espère que tu reviendras bientôt. Et puis si tu pouvais nous irions dîner dans un cabaret mais bien simplement. Nous ne dépenserions presque rien et nous serions si heureux. On m’apporte une lettre que la bonne dit être du petit Pierceau. Mais dans le doute je m’abstiens de l’ouvrir pour ne pas avoir des giffes.
Maintenant je ne vous écrirai plus que ce soir puisque vous le voulez. Par exemple ! si vous me fixiez une heure quelconque pour penser à vous, vous seriez bien attrapéa car je ne peux le faire que depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre sans interruption d’une seconde, pas même quand je dors puisque je rêve de vous. Jour un To. Jour mon pauvre petit Toto. Je baise ton œil malade. Je t’aime. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 237-238
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « attrapper ».

Notes

[1Il s’agit du poème « À Ol. », écrit le 26 mai, et qui paraîtra dans Les Voix intérieures (XII). Hugo y évoque sa première rencontre avec Juliette (voir aussi la lettre du 27 mai 1837 au matin).

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