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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 mars 1845

11 mars [1845], mardi matin, 11 h.

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon Toto ravissant, bonjour, bonjour, je t’aime. Je suis bien patraque ce matin. J’ai passé une nuit abominable. Dans ce moment, je me mets à la diète. Il me serait impossible d’ailleurs de rien manger.
À propos, le serrurier vient de venir me demander un acompte parce que, détail, il a un paiement à faire et que plusieurs personnes lui ont manqué de parole. Je lui ai dit que, s’il était encore temps demain, je pourrais lui donner cet acompte. Je ne sais pas si je me suis trop avancée, tu me le diras tout à l’heure, car j’espère que je te verrai tout à l’heure, quoique le temps soit bien hideux.
Je t’ai repassé ta cravatea. Je vais te faire ton eau et puis je me débarbouillerai si j’en ai le courage. Il serait possible que je fusse obligée de me recoucher, quoique ce ne soit que la moindre des indispositions, une mauvaise digestion. Il a fallu joliment vous talonner hier pour vous faire faire votre devoir. À votre place j’en mourrais de honte. Mais vous n’êtes pas sensible. Depuis que vous appartenez à l’illustre corps des vieux vieillards [1], vous ne rougissez pas de votre incapacité morale et physiqueb, AU CONTRAIRE. Après cela peut-être n’est-ce que pour les habitantes du Marais [2] que vous revêtez ce caractère éminemment pacifique, c’est possible. Je demande alors à déménager tout de suite. En attendant, je vous conseille de m’être bien fidèle si vous tenez à votre... vie. Vous m’avez interrompue, mon amour et vous avez bien fait car j’étais en train de dire de jolies choses.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 175-176
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « ta cravatte ».
b) « phisique ».


11 mars [1845], mardi après-midi, 4 h. ½

Je suis bien bête, mon Toto chéri, d’être malade le jour où tu viens dîner. Il n’y a que moi pour ces chances-là. Cela ne m’empêchera pas d’être la plus heureuse des femmes, j’y suis bien décidée. Ainsi, tant pire pour l’indisposition, cela lui apprendra à mieux choisir son temps. J’ai eu besoin d’envoyer chez Mlle Féau pour des bonnets ; chemin faisant, elle a demandé à Suzanne des nouvelles de Mme Triger. Suzanne lui a répondu que je l’attendais aujourd’hui à cause de son architecte. Sur ce propos-là, Mlle Féau lui a donné l’adresse d’un sien cousin vérificateur de son état et qui demeure ici près, rue Saintonge [3]. Il paraît qu’en m’adressant directement à un vérificateur j’aurai le double emploi de l’architecte de moins à payer, attendu que ces messieurs se font tous représenter par des vérificateurs, ce qui ne les empêche pas de se faire payer fort cher. Ce renseignement n’est pas à dédaigner. J’attends encore Mme Triger qui ne viendra probablement pas car il est déjà tard. Cher petit bien-aimé, je ne veux pas que tu croies que je prends les intérêts des marchands aux dépensa des nôtres, ce serait aussi par trop naïf et j’en suis incapable. Voilà plusieurs fois que tu me dis cette grosse stupidité et je tiens à la relever aujourd’hui pour qu’elle ne recommence plus. En attendant, baisez-moi, cher adoré, et ne m’en veuillez pas de ma malencontreuse indisposition. J’en suis déjà trop peinée par le côté ridicule et bête, ne m’en punissez pas par le côté amoureux et tendre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 177-178
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « au dépend ».

Notes

[1Juliette Drouet désigne souvent les académiciens comme « les vieillards » ou comme ici les « vieux vieillards ».

[2La rue Sainte-Anastase se situe dans le quartier du Marais à Paris.

[3La Sainte-Anastase et la rue de Saintonge sont situées à environ 500 mètres l’une de l’autre.

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