Guernesey, 16 mars 1858, mardi soir, 5 h. ½
Si je savais ce que je fais de mon temps comme je sais ce que je fais de mon cœur, mon cher adoré, je pourrais te dire ce qui m’a empêchée de t’écrire depuis dimanche ; mais en vérité je ne le sais pas et je suis toute ébaubie à la fin de la journée de ne m’être pas reposée une minute et de n’avoir rien fait qui vaille la peine d’être compté. Heureusement que je n’ai pas besoin du cadran solaire ni lunaire, ni de mes bras, ni de mes jambes pour t’aimer. Aussi, moins il me reste du temps pour la restitus plus j’accumule de tendresse et d’amour au fond de mon cœur. Oui, cela est ainsi, MONSEIGNEUR, et tout le dedans des maisons tremble et mon âme tressaille au moindre petit bruit qui ressemble au TAPAGE que vous faites à ma porte quand vous venez. Dans ce moment-ci, je donnerais tout au monde pour l’entendre car je vois l’heure de votre dîner s’avancer avec le regret de penser que je vous aurai à peine vu entre deux portes aujourd’hui. En attendant, je vous aime immuablement, incommensurablement et imperturbablement.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16379, f. 59
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette