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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 octobre [1848], mardi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour et merci pour ta bonne petite visite d’hier au soir. Elle m’a fait du bien, elle m’a donné une bonne nuit tranquille au lieu de la somnolence douloureuse et fatigantea dans laquelle j’étais. Merci, mon adoré, je t’aime de toutes mes forces. Ce matin je n’ai presque plus les yeux injectés, quant à l’autre CHOSE elle est toujours à peu près dans le même état mais cela m’est égal parce que cela ne se VOIT pas [1]. Aussi je me dispose à aller t’attendre tantôt. Il faudrait des choses encore plus EXCENTRIQUESb pour m’empêcher d’y aller. Je ne suis pas Juju à lâcher facilement l’occasion de vous voir. Cela ne m’arrive ni assez souvent, ni assez longtemps pour n’en être pas horriblement chiche. Ainsi malgré mes ridicules infirmités, malgré le temps grognon, j’irai au rendez-vous tantôt. Tâche de t’y trouver, mon cher petit Toto pour que je n’aie pas besoin d’aller chez la mère Sauvageot, surtout dans le moment où elle est occupée de son fils malade. D’ici là, je vous prépare une affreuse scène sur vos intrigues dramatiques, prenez garde à vous et tremblez dans votre peau de représentant car elle est fort aventurée. Baisez-moi sans frémir si vous l’osez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 339-340
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « fatiguante ».
b) « EXENTRIQUES ».


3 octobre [1848], mardi soir, 7 h.

Je ne te verrai pas ce soir, mon bien aimé, cette pensée pèse comme un plomb sur toutes les heures qui me séparent de toi jusqu’à demain et me les fait trouver mortellement lourdes, lentes, monotones et tristes. Cependant je fais ce que je peux pour occuper mon temps mais pendant que je me livre à divers exercices de pieds, de mains et d’yeux ma pensée et mon âme comptent seconde à seconde toutes les heures de l’absence avec unea douloureuse impatience. Ȏ que je désire être morte pour ne plus te quitter et pourtant Dieu sait ce que je souffrirais si je te voyais aimer une autre femme [2]. Sans cette affreuse crainte il y a longtemps je crois que j’aurais laissé cette stupide vie dans laquelle je te vois si peu pour l’autre telle que je la désire et telle que je l’espère. Mais je sens que je serais aussi jalouse dans l’autre monde que dans celui-ci, c’est ce qui me fait redouter d’y aller longtemps avant toi. Cher adoré, je t’écris des lugubres stupidités tandis que j’ai tant de douces choses à te dire, tant de baisers à te donner et tant d’amour à t’apprendre. Je suis une vieille bête de perdre ainsi mon temps, mon papier dont je n’ai plus qu’une feuille et mes tendresses dont tu as trop. Je t’en demande mille fois pardon et je t’adore à deux genoux.

Juliette

Collection particulière, MLM (Paris), 65303 0055/0057
Transcription de Gérard Pouchain

« une une douloureuse impatience ».

Notes

[1La veille, Juliette se plaignait d’une indisposition que la pudeur lui interdisait de nommer, et qui inspire un jeu de mots sur l’ « état de siège ».

[2Hugo entretient une liaison avec Léonie Biard. Juliette l’ignore, mais son intuition est juste.

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