8 juin [1848], jeudi midi
Je vais te voir tout à l’heure, mon Toto bien aimé, cette pensée me fait oublier tous mes ennuis et toutes mes impatiences passéesa. J’espère que tu n’auras pas été nommé et surtout je le désire de toutes mes forces, n’en déplaise à tous ceux qui ont voté pour toi [1]. Et quoique ce soit moi qui paye les frais de ta non élection, j’aime encore mieux cela que de te savoir au milieu de tous ces imbéciles furieux. Mais laissons toutes ces vilaines choses de côté. Je vais te voir tout à l’heure ! Quel bonheur ! Pourquoi faut-il que ce bonheur soit si court, je vais tâcher de n’en pas perdre une goutte et de garder dans mes yeux ton doux regard, sur mes lèvres ton souffle parfumé, dans mon oreille le son ravissant de ta voix, à mon bras la pression du tien, dans mes jambes la mesure de ton pas, dans mon âme un rayon de ton amour, dans mon cœur et dans ma pensée toute ta divine et sublime personne. C’est chargée de tout ce délicieux bagage que j’irai t’attendre chez la mère Tissard.
J’espère que tu réussiras tout à fait aujourd’hui à lui faire donner ce prix qu’elle a dix mille fois mérité, d’autant plus mérité qu’elle ne s’en doute pas et qu’elle aura toutes les peines du monde à croire sous quelque forme qu’on le lui présente [2]. Je voudrais que toute l’Académie puisse voir son étonnement et peut-être son indignation pour qu’elle soit bien convaincue que cette fois sa récompense est bien placée et puis je t’adore mon Victor. Je ne le dirai jamais autant que c’est vrai.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 231-232
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « impatiences passés ».