21 mai [1848], dimanche matin, 7 h. ½
Bonjour, mon doux bien-aimé, beau jour, joie et bonheur à toi et à tous les tiens. Je t’embrasse de l’âme et je te souris en pensée pour égayer un peu le commencement de cette stupide journée qui s’appelle MA FÊTE [1] ! Drôle de fête à laquelle tout manque, plaisir, bonheur, amour. Il n’est resté de cette date joyeuse que la nécessité de donner à dîner à quelques indifférents. Je ne veux pas trop m’appesantir sur ce qu’a de dérisoire cette époque avec l’état d’isolement auquel le bon Dieu m’a condamnée. D’ailleurs je n’ai pas le droit de me plaindre si ma pauvre petite lettre annuelle vient me tenir compagnie et me consoler pendant cette trop longue et trop fastidieuse journée [2]. Je voudrais déjà l’avoir quoique je sache bien qu’elle ne pourra m’arriver au plus tôt que dans la journée. Enfin je fais tout ce que je peux pour me donner du courage et de la patience jusqu’au moment où elle viendra et où je te verrai. En attendant je t’aime avec un redoublement de tendresse et de passion et je baise une à une toutes mes stations de bonheur, tous nos souvenirs heureux, toutes mes reliques d’amour. Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 191-192
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
[Souchon]
21 mai [1848], dimanche
Rien encore, mon cher petit homme. Vous êtes aussi paresseux qu’indifférent et vous n’avez aucune compassion de mon impatience. Je vous pardonne parce que je vous aime et que je souffre doublement quand je crois avoir sujet d’être mécontente de vous aujourd’hui. Je veux être très patiente et très indulgente afin d’être tout entière au plaisir de recevoir votre chère petite lettre quand elle viendra. Dieu veuille qu’elle ne vienne pas trop tard et que toutes ces bonnes dispositions auxquelles je me cramponne ne finissent pas par me laisser à moitié chemin. La pauvre Suzanne est consternée de ne pouvoir assister à la fameuse fête de la patrie [3]. Si j’avais su plus tôt qu’elle devait avoir lieu aujourd’hui je lui aurais volontiers cédé le pas et j’aurais remis mes RÉJOUISSANCES à un autre jour. Malheureusement il n’est plus temps maintenant. Seulement si je peux faire dîner mes convives de bonne heure je l’enverrais au feu d’artifice de la Bastille. C’est tout ce que je peux faire dans cette abondance de fêtes et confusion de divertissements variés. Pourvu que tu viennes, pourvu que tu aies songé à m’écrire, je ne peux pas détacher ma pensée de ces désirs si ardents de mon cœur.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 193-194
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
21 mai [1848], après-midi, 1 h.
Merci, mon adoré bien-aimé, merci à genoux de ta douce et ravissante SURPRISE. Je t’avais laissé partir assez maussadement et bien triste au fond du cœur de ton apparent oubli. Maintenant je te rappelle avec des cris de reconnaissance et d’amour. Je te bénis, je t’aime je suis heureuse. Merci, merci. Je t’avais devancé dans mon bonjour mais tu ne t’es pas trompé en croyant que ma pensée était avec la tienne au moment où tu m’écrivais [4]. Jamais, pas même dans le sommeil, cette préoccupationa de l’esprit et de l’âme n’est interrompue. Si la pensée avait des yeux je te verrais toujours, si l’âme avait des ailes je serais toujours avec toi. Mon Victor, mon Victor, mon Victor, je t’adore. Tout ce que tu m’as écrit, je le sens. On dirait que ta pensée en écrivant se mirait dans mon cœur. Aussi je te renvoie toutes les adorables choses que tu m’as adressées et j’y ajoute de plus des millions de baisers et de caresses les plus tendres et les plus ardentes.
Juliette
MVH, 8094
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « préocupation ».
21 mai [1848], dimanchea soir, 10 h. ¾
Je ne te tiens pas encore quitte, mon adoré bien-aimé, il faut que tu avales jusqu’au dernier mot de mes trop nombreux gribouillis. Je t’avais écrit tantôt une troisième lettre qui était restée dans mon buvard. Maintenant je ne veux pas me coucher sans te dire encore une fois combien ton adorable lettre m’a rendue heureuse et combien j’ai regretté de ne pouvoir pas profiterb de tous les précieux moments que tu as passésc chez moi. Mais le moyen de planter là ces pauvres femelles qui étaient venues pour me souhaiter ma fête ? La chose n’était pas possible sans une inconvenance un peu trop républicaine. J’ai dû sacrifier ma joie personnelle à la politesse et à l’hospitalité mais cela n’a pas été sans rager beaucoup intérieurement. Demain j’aurai encore Eugénie et M. Vilain qui viendront manger les restes. J’espère qu’ils ne viendront tous les deux qu’à l’heure du dîner et que cela ne me prendra aucune des minutes que tu pourras me donner. Hélas ! je vois à mon grand regret que tu ne viendras pas ce soir et pourtant je ne t’ai jamais plus désiré ni mieux aimé.
Juliette
MVH, 8095
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « samedi ».
b) « profité ».
c) « passé ».